En ce 8 mars 2017, le PSG arrive à Barcelone confiant. Trois semaines auparavant, le club français a terrassé le Barça au Parc des Princes en s'imposant 4-0. Rien ne semble pouvoir empêcher Paris de se qualifier pour les quarts de finale de la Ligue des champions. Et pourtant, ce soir-là au Camp Nou, l'équipe entraînée par Unai Emery va vivre sa pire humiliation. Une défaite 6-1 vécue en direct par ces journalistes qui racontent pour Goal leurs souvenirs de ce match historique.
Bruno Salomon (France Bleu Paris) : "Ils étaient dans l'hystérie collective..."
"J'arrivais assez léger. Pour moi, limite c'était gagné après le 4-0 du match aller. Il y a eu ce premier coup d'éléctricité avec le but de Suarez mais quand Cavani marque on se dit c'est bon. Et en fait, pas du tout ! Je me souviens de quelque chose d'assez fou. Je pense que le raconterai à mes petits enfants si j'en ai, et je continuerai à en parler à mon fils. À la 82e minute, trois socios du Barça sont devant moi, des gars de 70 ans, tu sens qu'ils en ont vu des matches. Les mecs se lèvent, prennent leurs affaires et me font signe. L'un d'eux me sert la main. Il me dit : 'félicitations et bonne chance pour la suite.' Pour moi, ça voulait tout dire, c'est fini, je le dis aux commentaires, même les socios se barrent. J'avais un consultant ce soir-là et lui répond "attention Bruno, le PSG n'est pas très à l'aise sur cette fin de match". Mais je n'y croyais pas. Puis arrive la 87/88e minute où là tu commences à t'enfoncer dans la cabine. T'as un moment de solitude. À 4-1 tu passes pour un imbécile mais on s'en fout. Et derrière c'est improbable. Tout est au ralenti, en slow motion. Je ne saurais même pas décrire le dernier but.
Tu vois les gens se sauter dessus, tu te retournes et tu vois des médias espagnols se taper dans la main. Tu sais que t'as vu un truc de malade toi aussi mais pas dans ton sens. Tout est à l'envers. Je me rappelle de voir les collègues s'embrasser, s'enlacer, même des journalistes français parce qu'ils étaient dans l'hystérie collective. C'était vraiment très étrange. Certains diront que c'est un trou noir mais je ne veux même pas entendre ce que je dis au micro. Après pareil, je ne pourrais pas raconter les conférences de presse. Ce que je sais c'est qu'on a eu du mal à trouver un taxi. Je me souviens quand même de Luis Enrique qui sort et s'amuse à klaxonner. Les gens criaient. Moi, j'avais qu'une envie c'était de partir.
Quand tu sors de là, après le match, tu vois tout le monde tomber sur le PSG. Tu sais qu'ils ont été mauvais mais t'as envie de rappeller qu'il y a eu des paramètres qui font que le PSG n'a pas été dedans. C'est un match dans l'histoire du foot, je sais, mais tu te dis 'personne ne veut parler de l'arbitrage ?'. Tu te rends compte que trois semaines plus tôt t'as fait l'un des plus beaux matches de l'histoire du PSG. Un match de martiens. Pendant 72 heures j'étais euphorique. Et là t'as même plus envie de rentrer chez toi parce que tu sais que tes amis vont te chambrer..."
Christophe Remise (Le Figaro/Sport24.com) : "Le son et la lumière ont été coupés d'un coup"
"Après la démonstration du match aller, j'allais à Barcelone en toute sérénité avec mon camarade Vincent Duchesne. La désillusion n’a évidemment été que plus grande... Dans les tribunes du Camp Nou, rien de très impressionnant. Un gros tifo au coup d’envoi, des drapeaux bleus et rouges dans les mains des 96.000 spectateurs. Mais une ambiance mollassonne, si ce n’est des pics sur les trois premiers buts du Barça. Encore plus mollassonne après le but de Cavani, après l’heure de jeu. Logique : à ce moment-là, Messi et compagnie devaient encore marquer trois fois... C'était impossible ! Enfin, c'est ce qu'on croyait... À l’approche du 'money-time', on n'entendait plus d’insultes que de chants dans les tribunes. On voyait même des fans du Barça quitter le stade.
La suite, tout le monde la connaît : sept minutes pour l’histoire et la honte pour un PSG vraiment en-dessous de tout. Dans ces instants, on pouvait parler d’ambiance de corrida. Le public y croyait pour de vrai. Au moment du but de Sergi Roberto, le sixième, à la 95e, j'aurais bien du mal à décrire l’atmosphère. J’ai le sentiment que le son et la lumière ont été coupés d’un coup ! Silence autour de nous dans notre partie de la tribune de presse en tout cas. Et après les papiers qu’il a fallu réécrire à la hâte, il était temps de descendre pour recueillir les réactions. Celles des joueurs (Meunier, Verratti, Thiago Silva) et du président Al-Khelaifi pour mon collègue et des coaches en conf’ pour ma part.
Pendant ce temps-là, scènes de liesse dans les rues. 'Ça danse et ça chante autour d’un stade qui mettra énormément de temps à se vider', raconte mon collègue Gilles Festor, qui n’était pas en tribune de presse mais au milieu des Socios. La bière coule à flot. La circulation des rues est coupée. Un concert de klaxons inonde le quartier transformé en salle de fête géante. C’était plus calme quand nous sommes sortis du stade. On s'est rendus à l’hôtel pour commencer à débriefer la performance historiquement honteuse des Parisiens. Ils sont tombés sur un grand Barça, un très grand Neymar et un très petit M. Aytekin (l'arbitre, ndlr), mais les principaux coupables, c'était eux. Scandaleux... 'Maintenant, il faut assumer', avait expliqué Unai Emery. On venait de vivre la plus grande humiliation de l’histoire du PSG, peut-être même du football français. Quoique, si vous demandez mon avis, l’élimination face à l’équipe B de Manchester United, deux ans plus tard, est encore plus terrible sportivement parlant au vu de l’opposition..."
Alfredo Matilla (Diario AS, basé à Madrid) : "Quelque chose d'unique, d'historique !"
"Dès la fin du match aller, j'ai reçu de nombreux messages disant que c'était un drame de perdre comme ça pour Barcelone avec tous ses joueurs de talent. J'ai commencé à répondre en expliquant que les hommes de Luis Enrique pouvaient marquer quatre buts au retour et que le Camp Nou est vraiment très difficile à supporter pour les adversaires. Mes amis m'ont répondu que j'étais fou. Pourtant, je suis très rationnel, mais il faut souvent avoir une intuition et se laisser aller. Je ne m'étais rendu qu'une seule fois au Camp Nou avant, mais c'était après une soirée et je n'avais pas su apprécier le moment. Alors j'ai voulu vivre cette expérience. Si le Barça gagnait, je savais que ce serait le genre de match dont je me rappellerai toute ma vie.
Je n'ai dit à personne dans le journal que je faisais cela. Mon vol était à 6 heures du matin. Je suis arrivé très tôt à Barcelone et j'ai passé la journée avec Juan Jiménez, un journaliste très important de la rédaction de AS à Barcelone. Il n'avait pas beaucoup d'attentes mais il a changé d'avis avec mon optimisme. J'ai obtenu une accréditation parce que plusieurs journalistes ne voulaient pas assister au match et n’utilisaient pas leurs places. Le but du PSG a fait taire le stade, qui a été réveillé par Neymar. Neymar a fait la chose la plus décisive que j'ai vue en si peu de temps. Incroyable ! Après le but de Sergi Roberto, j'ai vu des journalistes pleurer, je l'ai célébré en me levant et en posant mes mains sur ma tête. Pas parce que le Barça avait marqué, non, mais à cause du football ! On vivait quelque chose d'unique, d'historique. Juan a accidentellement jeté son ordinateur au sol et, quand il s'en est rendu compte, il s'en moquait. Au milieu de cette folie, Juan a dit au reste de la presse : "Calmez-vous, ce n’est pas fini !" Puis lorsque l'arbitre a sifflé, on est allés en salle de presse et une vidéo m'a été envoyée par téléphone. À la BBC ou sur ESPN, avec un million de vues, j'étais là : dans la tribune de presse, célébrant le but de Sergi Roberto. C’est à ce moment-là que de nombreuses personnes ont découvert que j’étais au Camp Nou.
L'expérience était si forte en émotions qu'on s'est demandé s'il fallait sortir ce soir-là. Nous sommes allés à Luz de Gas, bien connue pour les célébrations de Laporta là-bas quand il était président de Barcelone. Quand je suis rentré à Madrid et que j'ai franchi les portes de AS, il y a eu des applaudissements. C'était comme si tout le monde avait voulu être là, là où nous n'étions que moi et quelques privilégiés. C'était comme si j'avais marché sur la Lune. Pour moi, ce moment est plus important qu'une Ligue des champions, une expérience inoubliable, comme le 12-1 de l'Espagne contre Malte."