Il y a quelques années, Thierry Henry n’avait qu’un nom à la bouche pour résumer la nouvelle génération d’Arsenal : "Quand vous voyez Fabregas jouer, c’est comme s’il avait 30 ans avec sa façon de voir le jeu". C'était une sortie flatteuse, car l’idole a la critique facile. Fabregas, alors âgé de 24 ans, ressemblait à un vieux briscard avec ses huit saisons dans les jambes. Cette année, il s’apprête à souffler sa trentième bougie, justement. C’est un cap où l’on peut commencer à se retourner. L’Espagnol réalise-t-il une carrière à la hauteur de son talent ?
Ses jeunes années ont forgé sa réputation
C'est dans son apprentissage que Cesc Fabregas puise sa plus grande force. Choyé par Xavi dans les rangs de la Masia, puis par la génération dorée d’Arsenal (Henry, Vieira, Pirès…), le Catalan a baigné dans l’excellence et la réflexion tactique. Avec son visage enfantin et sa nuque longue, il était devenu - à 16 ans et 177 jours - le plus jeune joueur de l’histoire d’Arsenal à être lancé dans le grand bain, avant d’en devenir le plus jeune buteur quelques jours plus tard. C’est une précocité qui donne du crédit à sa carrière.
De l’avis de tous, Cesc Fabregas est un stratège. Un joueur cérébral, gracieux, presque méthodique. Durant ses premières années, un spot publicitaire avait imagé ce qui fait l’essence de son jeu. Le principe était simple : une salle de contrôle, une multitude d’écrans, une action sur chaque caméra et un choix à faire pour programmer l’action idéale. Comme un arrêt sur image. Évidemment, Fabregas ne s’était pas trompé. Dans l’art de la passe, dans son rapport au temps et à l’espace, l’Espagnol se trompe rarement.
Ce rôle de passeur se mesure dans les chiffres. Fabregas a distillé 63 passes décisives sur les cinq dernières années. Seuls Lionel Messi, Angel Di Maria et Mesut Özil ont fait mieux dans les cinq grands championnats européens. Depuis dix ans, le Catalan est même sur le podium des passeurs décisifs derrière Messi et Özil, encore. En termes d’occasions créées, l’ancien de la Masia et ces deux-là sont aussi dans le haut du panier, aux côtés de Payet, Hazard ou David Silva. Fabregas appartient donc à la caste des créateurs les plus fins de la planète, pour sa qualité de pied, bien-sûr – il est aussi précis sur coups de pied arrêtés - mais surtout pour son intelligence.
Son jeu manque de personnalité
Cette vision panoramique du jeu a mené Cesc Fabregas entre Londres et la Catalogne. Arsenal, Barcelone, Chelsea. L’itinéraire situe la dimension du bonhomme. Une voie royale faite de fulgurances, de titres, mais aussi de désamours et d’incompréhensions. Le peuple des Gunners n’a jamais digéré son retour à la maison - et encore moins son comeback chez le rival. Les socios du Barça n’ont pas retrouvé le gamin qu’ils espionnaient à la Masia. Les fans de Chelsea, eux, déplorent encore le contraste entre ses deux premières saisons à Stamford Bridge.
Derrière son registre complet, Cesc Fabregas ne peut pas masquer quelques points noirs dans sa carrière. Au fil des années, il est devenu un artiste sur courant alternatif. Sa vista ne suffit plus à combler ses périodes creuses. Ses brillantes relations techniques – Diego Costa le remercie encore – sont effritées par un statut de plus en plus fragile. S’il reste le meilleur passeur de Chelsea en Premier League, il n’a été aligné qu’à treize reprises cette saison par Antonio Conte. Un constat qu'il déplorait récemment : "Je suis triste quand je ne joue pas".
À Barcelone, chez lui, sa carrière avait déjà commencé à glisser. Sa polyvalence est un atout, mais elle l’a finalement desservi quand Guardiola (ou Del Bosque en équipe nationale) l’ont utilisé comme faux numéro 9. Cesc Fabregas avait alors incarné une nouvelle mode contre son gré. Redevenu une rampe de lancement en Angleterre, il a aussi souffert d’un manque de personnalité dans son jeu. C’est un milieu trop neutre. Au contraire d’un Verratti, par exemple, Cesc n’est pas de ces joueurs capables de prendre les choses en main pour inverser un rapport de force quand son équipe coule, comme l’ont illustré les chutes soudaines de la Roja au Mondial 2014 et de Chelsea, la saison passée.
Samedi, dans la fureur du derby, le milieu de Chelsea aura une réponse à donner devant un public qui l’a vu éclore. Fabregas connait la musique, les retrouvailles rythment sa vie. Il sait que le peuple des Gunners ne lui pardonnera rien, mais il cherchera juste à lui rappeler le joueur qu’il était en début de carrière, quand Henry, Vieira et les autres le présentaient comme un phénomène…