Si les exploits des deux joueurs doivent être reconnus et célébrés, il faut certainement admettre qu'ils ont bénéficié d'un contexte favorable par rapport au changement des lois du jeu. Notamment en ce qui concerne la règle du hors-jeu.
Jusqu'à il y a 27 ans, tout joueur au même niveau ou derrière l'avant-dernier adversaire était considéré comme étant hors-jeu. Mais après un Mondial 1990 stérile en termes de buts et de spectacle, la FIFA a voulu "protéger le jeu offensif" et a changé la donne. D'abord, vous n'étiez plus hors-jeu si vous étiez au même niveau que l'avant-dernier adversaire. Ensuite, en 1995, même en cas de positionnement litigieux, vous n'étiez considéré hors-jeu que si vous faisiez action de jeu.
La fin des défenseurs
L'International Football Association Board (IFAB) a apporté des retouches à cette règle en 2003, 2005 et 2013. Tant et si bien que la technique du piège du hors-jeu est devenue quasi-obsolète. Ces nouvelles règles ont créé la confusion chez les défenseurs et a permis aux attaquants d'avoir plus de latitude pour marquer des buts. On se souvient que la défense d'Arrigo Sacchi à l'AC Milan dans les années 80-90 utilisait un piège du hors-jeu très agressif qui permettait notamment à Baresi de monter au centre du pré pour renforcer le milieu de terrain lombard, lequel devenait presque impossible à briser.
On se souvient également de la défense d'Arsenal sous George Graham dont les joueurs levaient les mains au ciel en utilisant le piège du hors-jeu. Désormais, cette technique n'est plus efficace. Des attaquants comme Ruud van Nistelrooy se mettaient hors-jeu lors de la première phase d'une offensive avant de redevenir en jeu lors de la seconde phase.
"La règle du hors-jeu avait été changée car les puissants avaient décidé que trop de buts étaient annulés. Et du coup, beaucoup plus de buts ont pu être inscrits", se souvient Keith Hackett, un des meilleurs gardiens d'Europe des années 80.
Certains ont estimé qu'il s'agissait de la mort de l'art de défendre et des joueurs comme Messi et Ronaldo ont su en profiter. De plus, la défense a décliné en Europe ces dernières décennies. Dans les années 2000 nous avions des joueurs tels que Maldini, Nesta, Cannavaro, Ferrara, Thuram, Blanc, Desailly, Lizarazu, De Boer, Stam, Hierro, Salgado, Adams, Campbell, Mihajlovic... ce n'est plus le cas. Cela explique certainement pourquoi, aujourd'hui, les records de buts sont explosés quasiment chaque semaine.
"Le niveau standard d'un défenseur a baissé significativement", s'était plaint Gary Neville dans The Telegraph en 2014. "Quand j'ai commencé, dans les années 91-94, si vous laissiez passer un centre, c'était considéré comme un crime. Aujourd'hui, non seulement les défenseurs sont mauvais sur les centres, mais aussi en un contre un et sur phases arrêtées".
L'influence des ballons synthétiques
L'introduction de ballons synthétiques a également changé pas mal de choses. Jusqu'en 1986, les ballons comportaient du cuir. L'Adidas Azteca, mis en circulation lors du Mondial de cette année-là, était le premier ballon entièrement synthétique jamais produit. les ballons synthétiques sont rapides dans les airs et ont démocratisé les frappes lointaines que seuls les très grands joueurs maîtrisaient à l'époque des ballons en cuir. C'est un cauchemar pour les gardiens et viser la valve du ballon sur coup franc pour obtenir un effet est une technique utilisée couramment par Cristiano Ronaldo.
Le football est devenu une science. Les délais de récupération sont de plus en plus courts. Les avancées de la médecine et de la diététique permettent aux joueurs de jouer plus fort, plus longtemps et d'éviter au maximum les blessures. Messi, s'il avait joué il ya quelques décennies, n'aurait jamais eu accès à son hormone de croissance. Sur les dix dernières années, il a pu jouer 50 à 60 matches par saison sans aucun problème majeur.
La qualité des terrains a aidé au spectacle
La qualité des terrains a également augmenté, permettant aux joueurs d'éviter les blessures et aux attaquants techniques de s'exprimer davantage. Les arbitres sont également plus protecteurs aujourd'hui. Sur les quatre dernières Coupes du monde, la moyenne de cartons jaunes distribués par match était comprise dans une fourchette allant de 3 à 5,5. Ce chiffre culminait à 1,9 par match lors du Mondial 1982 et à 0,7 par match en 1966. Le carton jaune n'existait alors pas encore physiquement. Pelé avait notamment été martyrisé par la défense hongroise lors de ce Mondial anglais, alors qu'en 1982, Claudio Gentile avait commis des attentats sur Diego Maradona et déchiré le maillot de Zico sans être averti. Depuis 1991, les fautes cyniques dites "professionnelles" sont sanctionnées d'un carton rouge et le tacle par derrière a été banni depuis 1998. L'attaquant est aujoud'hui une espère protégée.
D'autres facteurs aident les attaquants d'aujourd'hui. L'UEFA a communiqué en début d'année sur 9 "Super clubs" tellement en avance sur leurs concurrents, plus riches, plus forts et mieux structurés qu'ils ne pourraient jamais être rattrapés. Le Real Madrid et le FC Barcelone sont de parfaits exemples de "Super Clubs", monopolisant notamment 12 des 13 derniers titres de Liga et recrutant 8 des 12 joueurs les plus chers de l'histoire. Deux clubs plus forts que 95% de leurs adversaires.
Si on prend Maradona, le meilleur joueur des années 80, il devait affronter de très grands joueurs chaque semaine en Serie A. Michel Platini à la Juventus, Marco van Basten et Ruud Gullit à l'AC Milan, Lothar Matthaus à l'Inter, Falcao à la Roma, Preben Elkjaer à Vérone, Zico à l'Udinese. Le meilleur championnat d'Europe de l'époque avait connu sept champions différents sur sept saisons. Un scénario inconcevable en Liga aujourd'hui.
Il n'y a bien sûr aucun doute que Ronaldo et Messi auraient été de grands joueurs à n'importe quelle époque de l'histoire. Ce qu'ils ont accompli est rééllement remarquable. Mais on ne peut pas nier que les différents changements survenus dans le football - de la règle du hors-jeu à l'avènement des super Clubs - ont permis à Messi et Ronaldo de régner sur le football d'une manière impossible par le passé.