Les "guerres" dans le football et le sport sont rares. Les véritables rivalités, celles qui transcendent l'espace délimité à la craie blanche du terrain, il y'en a de moins en moins. Pour un Clasico Real-Barça où deux armatures mythologiques s'affrontent, où deux idéologies se font face entre "Establishment" et contestation, combien d'ersatz de rivalités entretenues uniquement pour le spectacle ? De rivalités créées pour l'audimat ?
Le duel constant entre l'impératif économique et l'aléa sportif ont pris le pas sur la bataille des écussons et ce, depuis longtemps. Toutes les frontières interdites entre clubs, jadis sanctuaires inviolables, ont été franchies avec célérité par les joueurs de tout acabit. Les pactes de non-agression sont transgressés, les clauses sont payées, les clubs n'ont ni le temps, ni l'argent pour entretenir et soigner une rivalité.
Mais deux immenses villages résistent ensemble à l'envahissement du pragmatisme et de la normalité. Deux super-clubs qui ont décidé de porter la rivalité sur un autre plan, en coulisses, au niveau institutionnel.
Difficile de remonter au moment exact où le vernis de la respectabilité a sauté entre Madrid et Manchester. Mais on peut situer la période du début des hostilités. En 2007, le président du Real Madrid s'appelle Ramon Calderon. Et son obsession se nomme Cristiano Ronaldo. Le cacique merengue usera de tous les stratagèmes pour obtenir le jeune Portugais de Manchester United, lequel commence à éclore et à produire des saisons XXL après avoir été couvé pendant très longtemps par la figure paternelle Sir Alex Ferguson.
Ce dernier goûte peu l'acharnement de Calderon et finira par déclarer qu'il ne "vendrait pas un virus au Real Madrid". Le sang est versé et au lieu de calmer le taureau merengue, ce foulard aux couleurs des Red Devils ne fait qu'aiguiser ses appétits. Tous les coups sont permis. Ronaldo veut venir et c'est tout ce qui compte, l'institution séculaire mancunienne pliera-t-elle face aux desideratas d'une diva de 23 ans ?
La réponse on la connaît. On connaît aussi le procédé nébuleux utilisé par Madrid pour forcer la main de United. Au plus fort de la bataille pour Ronaldo, Sepp Blatter, alors tout puissant président de la FIFA, critique "un club qui traite ses joueurs comme des esclaves". "Je suis d'accord avec lui", embraye immédiatement Ronaldo.
Blatter n'en reste pas là et conseille aux dirigeants des deux clubs de "s'asseoir autour de la même table" puisque Ronaldo veut rejoindre le club madrilène. Un soutien inattendu et décisif, un soutien probablement commandité par le Real. Ronaldo signe au début du second mandat de Florentino Perez, même si c'est bien le travail de sape de Calderon qui a permis l'arrivée de Cr7 au Real. Du côté de United, la rancune est tenace. Elle aura de quoi être alimentée par la suite...
Nous sommes en 2013. Les deux clubs se retrouvent en quarts de finale de Ligue des champions. Manchester United domine le match retour pendant une heure et mène 1-0. Nani percute Arbeloa sans même voir venir l'Espagnol. Mais monsieur Cakir l'expulse et le Real de Mourinho s'impose et passe. Tout est rouge à Manchester. Du nez de Sir Alex aux maillots des joueurs en passant par les visages des supporters.
Avance rapide jusqu'en 2015. Le Real Madrid cherche un gardien et jette son dévolu sur David de Gea. Il est né à Madrid et fait le bonheur de Manchester United. Le Real insiste, convainc le joueur et sort l'arsenal habituel. Mais cette fois, United ne se laisse pas faire et use d'un artifice inédit que d'aucuns jugeront puéril. Les dirigeants mancuniens envoient les documents de confirmation de l'accord en retard à la Ligue espagnole. Ces documents parviendront à la LFP à 00h01 le 1er septembre au lieu de 23h59 le 31 août en dernier délai. Le camouflet change enfin de camp.
Le Real se tait et attend son heure. Et son heure est arrivée cet été, quand Manchester United est venu aux nouvelles pour un attaquant compétent et qui manque de temps de jeu à Madrid. Le Real est d'accord pour vendre Alvaro Morata et fixe son prix à 90 millions d'euros pour Manchester United en refusant de baisser son prix et ce, selon plusieurs médias anglais. Encore une fois, le transfert est à un cheveu de se produire. Mais Morata finira par s'engager à Chelsea pour 10 millions de moins...
Toute rivalité est condamnée dans le microcosme des cadors européens. Au vu des montants impliqués, du nombre très restreint de joueurs et entraîneurs d'élite disponibles sur le marché, ces prédateurs sont forcément appelés à interagir entre eux de nouveau à plus ou moins brève échéance. Mais cet antagonisme, tant qu'il perdure, est rafraîchissant dans l'univers grisâtre des multinationales du football. Ces crasses d'écoliers à plusieurs millions d'euros, ces bisbilles juvéniles à coup de fax confisqués et de prix augmentés, nous rappellent que le football est avant tout un sport d'humains, faillibles et, parfois, rancuniers.