De la cour d'école au sommet, sur les traces des jumelles Cascarino

Au départ, elles choisissent le rugby, sous l'impulsion de leur grande sœur. Et puis un jour le grand frère les prend pour compléter une équipe de foot avec les copains.
"Elles jouaient bien, du coup il les prenait tous les samedis", raconte leur père, Laurent Cascarino. Pour celles et ceux qui se posaient la question, elles ne sont donc pas les filles de l'ancien attaquant de l'OM Tony Cascarino.
Leur histoire est celle d'un conte de fées, enfin de foot, comme doivent en rêver des millions de petits garçons. À 9 ans, elles sont repérées dans la cour, ouverte sur la rue, et invitées à rejoindre l'AS Saint-Priest, près de Lyon. Un des clubs phares de la région par lequel sont passés notamment Youri Djorkaeff et Nabil Fekir.
"Elles étaient très complémentaires" et sur le terrain, elles peuvent dérouter car elles n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre, explique leur père, un écrivain-scénariste qui vient de publier la première BD de l'Olympique lyonnais, "Team d'Attaque".
Un jour, le club propose de rétrograder Estelle en équipe 2 pour la "booster". Personne ne voit venir le problème. Mais en fin de saison, le couperet tombe : "On va garder Delphine, pas Estelle".
Hors de question pour les parents, Laurent et Aline, qui ont joué un rôle central dans le parcours de leurs filles. "Vous n'allez garder ni l'une ni l'autre. On va aller dans un club concurrent, l'AS Manissieux".
"Du feu dans les jambes"
Les jumelles quittent donc le centre de cette banlieue populaire pour une ambiance plus rurale, avec des terrains coincés entre serres, champs de céréales et petits pavillons. Nous sommes en 2007, elles ont 10 ans.
Aziz Sabba, leur entraîneur d'alors, les voit débarquer dans son équipe de garçons. "A l'époque, il n'y avait quasiment pas de filles".
Il sent immédiatement leur potentiel. Delphine à l'attaque "technique, jolie à voir, élégante", quand Estelle est plus "défensive", "n'hésite pas à aller au contact". Pour lui, "la symbiose des deux, c'est la joueuse parfaite".
L'année d'après, c'est Yohan Desbos qui prend le relais à l'entraînement. Une période plus difficile pour Delphine face à des garçons en pleine adolescence et de plus en plus costauds même si "elle dribblait toujours aussi bien et allait toujours aussi vite".
Delphine, portant sur son visage une douceur enfantine qu'elle a conservée, est déjà "très respectueuse, introvertie" tout en mettant la bonne ambiance quand il le faut. "Du pain béni" pour un entraîneur.
Un caractère qu'elle devrait un peu bousculer pour Aziz Sabba. "Franchement, elle a du feu dans les jambes. Mais il faut qu'elle soit moins introvertie, qu'elle pense plus aux 'stats' si elle veut un jour entrer dans l'Histoire".
Ce rêve "Bleues"
Et là encore, leur destin bascule sans qu'elles ne l'aient cherché. L'Olympique lyonnais, qui écume les clubs amateurs du coin, les approche en 2009, à 12 ans seulement. Une chance folle pour les jumelles car l'OL, en Europe, est un pionnier en matière de football féminin.
Elles partent alors en formation. Une période dense, dure sur le plan de la discipline. Mais les "ju-ju", comme les surnomme la sélectionneuse Corinne Diacre, s'épaulent.
Très vite, elles sont appelées en sélection. En 2012, Delphine remporte la Coupe du monde des moins de 17 ans, et en 2016 elles deviennent ensemble vice-championnes du Monde des moins de 20 ans.
Aujourd'hui, Delphine continue d'accumuler les trophées avec Lyon, l'une des meilleures équipes du monde. Quand Estelle poursuit sa carrière dans le plus discret FCF Juvisy, puis au Paris FC.
Pour ce Mondial 2019, qui commence en France vendredi, Delphine a conquis à 22 ans sa place après une prestation XXL contre les championnes du monde américaines en janvier dernier (3-1).
"Malheureusement Estelle n'est pas dans la liste", regrette Delphine. "J'espère qu'elle y sera un jour". Leur rêve.