Le 'Falcao serbe'
Luka Jovic était appelé le "Falcao serbe" à ses débuts à l'Etoile Rouge de Belgrade, dès ses 16 ans. Puissant, instinctif et redoutable devant le but, il avait de quoi faire saliver les recruteurs des clubs européens. C'est d'ailleurs un habitué de la Ligue des champions, avec le Benfica, qui l'avait recruté à l'hiver 2016 contre 6,5 millions d'euros, selon ses propres documents financiers.
Agé aujourd'hui de 19 ans, il n'a pas percé au Portugal et le Benfica l'a prêté à l'Eintracht Francfort. Parcours classique d'un joueur prometteur arrivé trop vite au haut niveau? Pas tout à fait puisque le site The Black Sea, associé au consortium d'investigations chargé de démêler les Football Leaks, a révélé que Jovic n'était plus sous contrat avec l'Etoile Rouge au moment de son transfert, mais avec l'Apollon Limassol, club chypriote.
Au total, entre 2012 et 2015, le site a dénombré sept joueurs originaires de Serbie et de Roumanie transférés de manière virtuelle à l'Apollon Limassol, triple vainqueur du championnat chypriote (1991, 94 et 2006).
'Club passerelle'
Le club, qui se signale par ailleurs par une véritable frénésie de transferts (en septembre, L'Equipe a recensé, à l'aide du site Transfermarkt, 29 arrivées pour 28 départs), est accusé par The Black Sea d'être un "club passerelle" ("bridge club", en anglais), ou un club écran.
Comment ça marche? En Amérique du sud, il peut servir à alléger la fiscalité sur le transfert: le site Lucarne Opposée expliquait que dans le cas d'un joueur argentin passant en Europe, le fait de le transférer via un club uruguayen fait baisser les taxes sur la mutation (2% en Uruguay contre 7% en Argentine).
Dans le cas de l'Apollon et de Jovic, le journal Le Soir explique que l'Etoile rouge avait "un besoin urgent de liquidités" et a décidé en conséquence de céder les droits du joueur au club chypriote, dans la sphère d'influence du très secret agent Pini Zahavi, un des grands acteurs de l'arrivée cet été de Neymar au PSG.
Enquête de la Fifa
En clair, le club chypriote fait office de partie tierce, selon les Football Leaks. Est ainsi désigné un acteur extérieur qui va apporter à un club les liquidités nécessaires pour réaliser un transfert par exemple, en se rémunérant via des intérêts attractifs ou un pourcentage sur les actifs du clubs.
Or, "aucun club ou joueur ne peut signer d'accord avec un tiers permettant à celui-ci de pouvoir prétendre, en partie ou en intégralité, à une indemnité payable en relation avec le futur transfert d'un joueur d'un club vers un autre club, ou de se voir attribuer tout droit en relation avec un transfert ou une indemnité de transfert futur(e)", stipule désormais l'article 18 Ter du règlement Fifa.
Sollicité par l'AFP, la Fifa dévoile qu'"une enquête du système de régulation des transferts (TMS) a été menée" sur le cas de l'Apollon Limassol et que "le dossier a été soumis au comité de discipline" de l'instance, pas "en mesure de commenter les détails des procédures en cours". Le club n'a pas répondu à l'AFP.
'Accro' au 'TPO'
Le cas de Luka Jovic semble en tous cas symptomatique d'un football mondial drogué aux "TPO", la tierce propriété qui a été interdite en 2015 par la Fifa. L'auteur de "Football's secret trade", Alex Duff, assure ainsi à l'AFP que "6.500 cas de TPO ont été déclarés au moment où la Fifa les a interdits", l'instance ayant laissé une tolérance pour les "deals" déjà conclus.
"Le véritable essor arrive avec la crise de 2008, au moment où les banques vont être de plus en plus réticentes à prêter de l'argent aux clubs", expliquait en février 2016 un des spécialistes du sujet, Shervine Nafissi. Des investisseurs, opérant souvent via des paradis fiscaux, prêtaient de l'argent à des clubs dans le besoin en échange d'un intéressement sur un futur transfert.
Et aujourd'hui? "Hormis les 20 clubs de Premier League et leur manne de 7 milliards de droits TV, hormis 6 ou 7 monstres type Paris SG, Bayern Munich, Barcelone, Real Madrid, voire Inter Milan et Juventus Turin, tout le monde est largué", confiait récemment un dirigeant de club à l'AFP. Et toutes les rentrées d'argent sont bonnes pour tenter de tenir la cadence.