Il est étonnant de voir que la culture d’un club ne se perd pas. Même quand ce club est en perdition. L’AJ Auxerre, engoncée dans les profondeurs de la Ligue 2, s’offre encore un bol d’air en Coupe de France. Sa longue histoire d’amour avec la compétition doyenne regorge d’aventures épatantes, de buts mémorables et d’anecdotes franchement croustillantes. Peut-être se nourrit-elle de cet "esprit Coupe" légendaire ?
La particularité, pour un amoureux d’Auxerre, est de vivre depuis cinq ans (et même plus) l’exact opposé des 40 années précédentes. Même en essayant de nuancer, on exagère à peine. C’est comme si cette petite ville de 35.000 âmes devait payer tout le caviar qu’elle a dégusté pendant des décennies. Comme s’il était inévitable que la discrétion laisse place à l’agitation, que cette malice intrigante annonce fatalement le triste spectacle d’un grotesque combat de coqs. Auxerre en est là, aujourd’hui. Et au milieu du décor, il reste la Coupe. Un plaisir rituel qui réconcilie ce petit monde comme les accolades d’un Jour de l’an.
Auxerre ou la définition de l'esprit Coupe
Le charme de la Coupe réside dans son incertitude. L’AJA a toujours eu l’allure du petit, mais elle a parfois enfilé le costume du gros, aussi. Et il n'était pas trop large pour elle. En 1994, pour son premier titre, elle avait balayé Montpellier sans que personne ne trouve rien à y redire. Deux ans plus tard, l’équipe de Guy Roux écrivait l’un des plus beaux exploits du football français en signant un doublé Coupe-Championnat. Grimper sur le toit de l’Hexagone ne lui a pas suffi, elle ne pouvait pas délaisser sa première idylle.
Les dernières générations dorées de Guy Roux ont aussi leurs anecdotes. Les Cissé, Mexès and co, une bande hype et décomplexée, avaient renversé en 2003 le PSG de Ronaldinho (2-1) avec un coup de canon de Jean-Alain Boumsong… sur le gong. La première période avait été parisienne, sous un orage qui s’était arrêté à la mi-temps. Deux ans plus tard, Auxerre a fait encore plus fort en s’imposant (encore sur le fil) contre Sedan (2-1) avec des buts de Benjani et Bonaventure Kalou.
Guy Roux avait envoyé l’intrépide Gérard Bourgoin en Lybie pour ramener Kalou en jet privé, et l’Ivoirien était entré à 20 minutes de la fin après son périple, pour inscrire le but vainqueur. L'entraîneur au bonnet, qui avait vécu ses dernières heures sur un banc, fait toujours du Guy Roux pour compter l’épisode. "Il était à Tripoli pour affronter la Libye avec la Côte d’Ivoire", avait-il glissé à France Football. "Gérard Bourgoin est allé le chercher avec un Falcon personnel et l’a ramené. On avait aménagé le Falcon avec un lit, un kiné, un repas diététique. Je lui avais dit qu’il rentrerait à l’heure de jeu. Il était le plus frais puisqu'il avait joué une heure la veille et que les autres avaient joué une heure ce jour-là" . Le premier buteur Benjani, lui, avait déguerpi avec une escorte pour attraper un vol que Guy Roux avait tenté de retarder ! Deux anecdotes éternelles.
Sur ses six finales de Coupe de France - un total remarquable - l’AJA n’a pas toujours bombé le torse. Elle était dans l’antichambre lorsqu’elle s’est inclinée contre Nantes, cador de son époque, au bout de la nuit (4-1 après prolongations) pour sa première finale en 1979. Une épopée juste avant la montée. Et une autre après sa descente, récente, perdue d’un petit but (de Cavani) contre le grand Paris de l’ère QSI (1-0). Quelle que soit sa posture, l’écurie bourguignonne cultive son amour de la compétition.
Il y a quelques semaines, l'AJA était 19ème de Ligue 2 quand elle a étrillé Saint-Etienne (3-0), 5ème de Ligue 1. Pourquoi ? Peut-être parce que cette Coupe est une histoire de coups. Un appel à l’adrénaline. Un autre rapport au temps. Une autre approche de l’événement. Ces batailles d'un soir collent à ce qu’est l’AJ Auxerre. Pour un footballeur, ce sont les batailles d'une vie.