Entre ces deux géants, qui n'ont abandonné qu'un seul des 25 titres de champion décernés depuis l'indépendance en 1991, il y a toujours eu de la rivalité. "Mais je crains qu'aujourd'hui il ne reste que de la haine", commente pour l'AFP un des plus célèbres journalistes sportifs du pays, Tomislav Zidak.
Tout ne fut pas toujours aussi acrimonieux entre ces clubs qui durant l'ère yougoslave ont parfois gâché le festin des mastodonte de Belgrade, le Partizan et l'Etoile rouge, en leur ravissant onze titres (sept pour le Hajduk, quatre pour le Dinamo).
A la fin des années 1980, quand la Yougoslavie craque de toutes parts, les rencontres deviennent même amicales entre ces symboles de l'identité nationale croate renaissante. Aux stades Maksimir de Zagreb et Poljud de Split, les supporteurs unissent leurs voix pour célébrer ces "deux clubs frères, dont toute la Croatie est fière".
"En 1990, quand je jouais, les supporteurs chantaient ensemble", se souvenait en 2009 Slaven Bilic, enfant de Split, qui a porté 120 fois le maillot du Hajduk. Mais au milieu des années 1990, "la rivalité sportive s'est lentement transformée en haine".
Le club de Tudjman
La faute à la politique. Depuis l'indépendance en 1991, le Dinamo est le club du pouvoir, celui du père de la nation Franjo Tudjman, qui manquait rarement un match et le fera même brièvement changer de nom (Croatia Zagreb), au grand dam des supporteurs.
La ville de Zagreb finance généreusement le Dinamo, dont les dirigeants entretiennent des liens étroits avec la direction du HDZ, le parti conservateur de Tudjman, toujours au pouvoir. A commencer par les frères Mamic, Zdravko et Zoran, inculpés pour des détournements de fonds sur des transferts douteux.
Considéré comme le véritable patron du football croate, le premier concède volontiers avoir financé la carrière politique de la présidente de la République Kolinda Grabar-Kitarovic. Et si ses déboires judiciaires l'ont forcé à quitter la présidence du Dinamo (tout comme son frère n'en est plus l'entraîneur), il en reste officiellement conseiller.
Unis pour le pire
Les responsables du Dinamo ont "mis sous leur coupe l'ensemble du football croate, en le mettant au service de leurs propres intérêts et de celui de leur club", accuse Damir Grujic, responsable des supporteurs du Hajduk. "Nous considérons le Dinamo comme un symbole des irrégularités et de l'absence de transparence financière" dans le football croate.
Face à un Hajduk étranglé financièrement, "le Dinamo est le grand vainqueur de l'irruption du politique dans le football", explique à l'AFP le sociologue spécialisé dans le sport Drazen Lalic, de l'université de Zagreb. Le Dinamo a remporté les onze derniers championnats, et cela fait quatre saisons que le Hajduk ne se hisse même plus sur le fauteuil du dauphin.
Le club dalmate ne peut plus s'enorgueillir que du soutien bouillant de ses supporteurs : "Le Hajduk est une religion séculaire, la plupart des habitants de Split et de Dalmatie le ressentent ainsi", selon Drazen Lalic.
Mais les "ultras" des deux camps opèrent un rapprochement étonnant autour de l'équipe nationale. Pour le pire : fumigènes, chants pronazis, actes de hooliganisme lors de l'Euro-2016 en France... Selon Lalic, "ils ont désormais un ennemi commun, Mamic et les gens qui dirigent le football croate", notamment le président de la fédération, l'ancien international Davor Suker. Pour beaucoup, leurs provocations n'ont qu'un but : affaiblir la fédération en la forçant à payer les amendes répétées de l'UEFA.
Les "ultras" du Dinamo, les "Bad Blue Boys", qui reprochent à Mamic son enrichissement, ont boycotté les matchs pendant six ans. Une grève qui touche à son terme. Leur retour au stade n'est pas forcément une bonne nouvelle pour les autorités avant le derby.