La multipropriété, une opportunité pour les clubs, un risque pour les compétitions

Le phénomène a réellement pris de l'ampleur à partir des années 2000 et aujourd'hui plusieurs grosses écuries européennes sont adossées à des groupes possédant plusieurs équipes comme Manchester City (City Group), Manchester United (Ineos), Chelsea (BlueCo) ou l'AC Milan (RedBird).
La relégation en Ligue 2 de l'OL, que le club français va contester mercredi en appel, n'est certes pas une bonne publicité pour la multipropriété puisque il appartient à Eagle comme les clubs brésilien de Botafogo et belge de Molenbeek. Pour autant, certains spécialistes sont tout de même favorables à ce mode particulier de propriété.
"Est-ce qu'en France on a à se plaindre que LVMH soit propriétaire de nombreuses marques frontalement en concurrence ?", demande Nicolas Blanc, patron de Sport Value, une entreprise de conseil économique spécialisée notamment dans le football.
"Personne n'aurait l'idée de dire à LVMH : 'Vous avez trop d'entreprises de parfums'."
"Ce qui fonctionne dans le luxe peut fonctionner dans le foot."
"Eux aussi ont un mercato des grands directeurs de collection", ajoute-t-il.
"Effectivement, le football est pris dans un système économique global qui le dépasse", explique Christophe Lepetit, directeur des études au Centre de droit et d’économie du sport (CDES).
"Il y a des phénomènes de concentration très forts dans beaucoup de secteurs d'activité : le luxe, l'automobile, les médias…"
"Mais dans le luxe, il n'y a pas le risque de collusion qui existe dans le domaine sportif."
"Or l’équilibre et l’intégrité des compétitions sont les deux valeurs cardinales en économie du sport."
"Il faut les protéger."
Hors de question qu’un propriétaire arrange un résultat entre deux de ses équipes.
La simple perception d’un conflit d’intérêt serait un désastre pour l’image de la compétition, c’est pourquoi presque toutes les ligues européennes interdisent la multipropriété dans leurs championnats.
Mais l’UEFA n’est pas aussi stricte : elle permet de reléguer l’un des deux clubs dans une compétition inférieure.
En 2023-2024, l’Union Saint-Gilloise a été inscrite en Ligue Conférence pour ne pas jouer la Ligue Europa avec Brighton, également détenu par Tony Bloom.
Le premier cas du genre remonte à la Coupe de l’UEFA 2006-07, avec Tottenham et le Slavia Prague, tous deux propriétés du groupe Enic. Ce dernier a dû réduire sa participation dans le club tchèque pour permettre la cohabitation des deux équipes dans la même compétition.
Les conflits d’intérêts se multiplient ces dernières années, avec la montée en puissance de la multipropriété :
Salzbourg et Leipzig (Red Bull) en Ligue des champions 2017-18, puis Manchester City et Gérone (City Group), ou Manchester United et Nice (Ineos), plus récemment.
À chaque fois, les clubs ont trouvé des solutions en modifiant l’actionnariat ou la gouvernance, comme Toulouse et l’AC Milan (RedBird) en 2023-2024, mais sans rompre le lien entre actionnaires communs – ce qui n’élimine pas tous les soupçons.
Cet été, la FIFA a exclu le club mexicain de Leon de la Coupe du monde des clubs, car il partageait le même actionnaire majoritaire que Pachuca, également qualifié.
"Les instances sportives pourraient interdire purement et simplement la multipropriété, mais elles sont prises entre deux feux", poursuit Christophe Lepetit.
"Les clubs français, exsangues après une succession de crises, ont besoin d'investisseurs."
"Interdire la multipropriété, cela signifie plus de BlueCo à Strasbourg, plus de City Group à Troyes, plus d’Eagle à Lyon…"
Le chercheur prend l’exemple de Strasbourg, désormais associé à Chelsea.
Le club alsacien, 7ᵉ de Ligue 1 la saison passée, "a clairement franchi un cap en pouvant recruter ou se faire prêter des joueurs auxquels il n'avait pas accès, et a retrouvé l'Europe", souligne-t-il.
"Je comprends les réticences vis-à-vis de la multipropriété", affirme Jeff Luhnow, patron de Blue Crow, qui vient d’ajouter Le Havre à son portefeuille après Leganés (Espagne), Cancún (Mexique), Vyškov (République tchèque) et les Falcons (Émirats arabes unis).
"Mais l’avantage du modèle est de développer des compétences que les clubs ne pourraient financer seuls : technologie, analyse de données, marketing, expérience client…"
"Beaucoup critiquent la multipropriété, mais moi, je fais partie de ceux qui pensent que c’est un phénomène à surveiller de près, mais qui peut avoir des avantages", conclut Christophe Lepetit.