Senol Günes, le technicien des 'Aigles noirs' d'Istanbul, est sorti vendredi matin de l'hôpital où il a passé la nuit. Bilan : cinq points de suture au crâne et une crise comme le football turc n'en avait pas connu depuis longtemps.
Le match retour de la demi-finale de coupe de Turquie opposant Fenerbahçe dans son stade à Besiktas approchait de l'heure de jeu lorsque Günes s'est effondré près de son banc de touche, atteint par un objet jeté depuis les tribunes de Fenerbahçe. La rencontre a été suspendue (score 0-0).
Depuis jeudi soir, la police turque multiplie les coups de filet. Plusieurs dizaines de supporters, dont un homme soupçonné d'avoir jeté un briquet ayant atteint l'entraîneur, ont été arrêtées.
Les images impressionnantes de l'entraîneur au sol se tenant la tête ont suscité l'indignation en Turquie, où Günes, 65 ans, est particulièrement respecté pour sa carrière et ses manières posées qui tranchent dans un pays où le football déchaîne les passions.
"La nuit où le football est mort", titrait ainsi 'Hürriyet', journal le plus vendu en Turquie. "Notre football est aux urgences", déplorait le grand quotidien sportif 'Fanatik', avec une photo de Günes sur un brancard, le visage tordu de douleur.
À l'orée d'une campagne pour des élections présidentielle et législatives anticipées en juin, la question de la violence dans les stades, un spectre qui plane sur le football turc depuis des décennies, semble faire son retour dans le débat public.
"C'est plus que de la terreur dans des stades. Il faut être clair : il y a un complot", a lâché vendredi le chef de l'Etat Recep Tayyip Erdogan, qui s'est entretenu avec Günes, ainsi qu'avec les présidents de Besiktas et de Fenerbahçe.
'Impardonnable'
"Certaines personnes ont organisé ces actes de terreur", a estimé M. Erdogan, ajoutant que le gouvernement allait suivre l'affaire. "Ce que coach Senol a subi est totalement inacceptable (...), impardonnable", a-t-il dit.
"Nos équipes, dont l'histoire est séculaire, ne méritent pas cela. Le fait qu'elles aient cette réputation à cause de ce genre d'incidents nuit à notre pays et à notre football", a pour sa part déclaré le Premier ministre Binali Yildirim.
Après l'incident, l'arbitre a suspendu la rencontre dont le score était nul et vierge (2-2 à l'aller).
Avant même la blessure de Günes, le match avait été émaillé d'incidents, avec l'expulsion du défenseur portugais de Besiktas Pepe à la demi-heure de jeu pour un tacle à une cheville et des jets de projectiles contre des joueurs de l'équipe, dont Quaresma.
"La victime, ce n'est pas moi, mais le football turc", a déclaré Senol Günes au quotidien 'Milliyet'. "Tous les acteurs du football doivent se réunir et trouver d'urgence des solutions à ce problème" de la violence.
La Fédération turque de football doit se réunir mercredi pour décider d'éventuelles sanctions.
La rivalité légendaire entre les "trois grands d'Istanbul" est exacerbée cette saison par l'écart réduit en championnat en haut de tableau : le leader, Galatasaray, n'a qu'un point d'avance sur Besiktas et Basaksehir, qui devancent de deux petites longueurs Fenerbahçe.
Les autorités ont pris plusieurs mesures ces dernières années pour endiguer les violences dans le football, en imposant notamment en 2014 l'obtention d'une carte électronique ("passolig") pour les supporters voulant se rendre au stade.
Mais des fans dénoncent un "fichage" et accusent M. Erdogan de vouloir renforcer sa mainmise sur le football, notamment depuis les grandes manifestations antigouvernementales de 2013 (mouvement Gezi) lors desquelles certains groupes de supporters ont été très actifs.
L'introduction du "passolig" et la baisse des violences qui a suivi ont notamment entraîné une augmentation du nombre de femmes dans les tribunes, se dont M. Erdogan se félicite régulièrement.
"Je me disais que les hommes se comporteraient peut-être avec plus de courtoisie si des dames étaient présentes (dans les stades). Mais c'est tout l'inverse qui se produit", a déploré le président turc vendredi.