Désormais prétexte à affrontements entre groupes de supporteurs souvent liés au milieu, ce match fut pourtant, et pendant longtemps, une célébration de ce football yougoslave auréolé d'un certain romantisme en dépit de rares trophées. Tout ceci a disparu avec la Yougoslavie et les conflits sanglants des années 1990.
Dans les stades des 'Gitans' de l'Étoile rouge et des 'Fossoyeurs' du Partizan, ont été recrutés des paramilitaires serbes ultranationalistes, coupables d'atrocités. Zeljko Raznotovic, alias Arkan, a trouvé ses 'Tigres' dans les virages du Marakana de l'Étoile Rouge.
"Le bon football a été remplacé par du mauvais jeu et des hooligans", remarque amer Nikola Jankovic, 58 ans, un instituteur, habitué du stade de l'Étoile rouge qui a depuis 1991, comme beaucoup d'autres, renoncé à s'y rendre.
Champ de bataille
Samedi, comme chaque jour de derby, Belgrade ressemblera à un champ de bataille. Des hélicoptères survoleront la ville, des milliers de policiers anti-émeutes seront déployés.
Mais les règlements de compte ne s'arrêtent pas aux seuls matches : des responsables "supporters" des deux camps apparaissent régulièrement dans la rubrique des faits divers.
Fin 2016, Aleksandar Stankovic, un des chefs de file des supporteurs du Partizan a été assassiné à bord de sa cylindrée de luxe, dans ce qui avait des allures de règlement de compte mafieux.
"La rivalité n'a plus grand chose à voir avec le sport, elle est liée à la criminalité", constate Mihajlo Todic, spécialiste du football au quotidien Sportski Zurnal.
Dans les rues de Belgrade, des portraits de jeunes hommes décédés, donnent à la capitale serbe des faux airs irlandais. Mais ces morts "ne sont pas des martyrs du sport, mais des victimes d'un tout autre type de règlements de comptes", note-t-il.
Nostalgie des temps meilleurs
L'ex-milieu Vladimir Petrovic, dit "Pizon" (le Pigeon, ndlr), légende de l'Étoile rouge (1972-1982) se souvient avec nostalgie de l'époque où il se rendait à pied au stade du rival pour disputer le derby.
"Après une victoire, tu marchais dans les rues tel un héros" résume-t-il.
Rien n'avait d'égal que de gagner le derby, pas même de remporter le championnat, renchérit Ljubisa Tumbakovic, ancien entraîneur du Partizan.
La rivalité est apparue dès la création de deux clubs au lendemain de la Seconde guerre mondiale. L'Étoile rouge et Partizan remplaçaient des clubs d'avant-guerre disparus dans le conflit.
Les premiers ont hérité de nombreux joueurs et du stade du club Jugoslavija, les deuxième, créés et dirigés par l'armée, ont disputé leurs premières saisons dans l'enceinte d'un autre ancien club de la capitale, le BSK.
Supporters de père en fils
Etre supporteur de l'un ou de l'autre ne se décidait ni par l'origine sociale, ni par le quartier. Un Serbe sera 'Fossoyeur' ou 'Gitan' de père en fils.
"Les enfants soutiennent le club soutenu par leurs pères", note Sandra Radenovic, sociologue à la faculté de Culture physique à Belgrade.
Certaines régions, dont sont originaires des grands joueurs, deviennent acquises au club où l'enfant du pays a taillé sa légende, fait remarquer Mihajlo Todic.
Ainsi Zrenjanin (nord-est), d'où est originaire Nenad Bjekovic l'avant-centre légendaire du Partizan est "noir et blanc". Quand Ub (ouest) est rouge et blanc pour avoir donné à l'Étoile rouge Dragan Dzajic.
L'Étoile rouge a plus de supporters dans le pays, 48,2% contre 30,5% au Partizan, selon un sondage réalisé en 2008.
Elle a gagné le premier derby (4 à 3) disputé par une température de moins 19 degrés à Belgrade le 5 janvier 1947, et remporté 107 des 241 derbys contre 76 au Partizan.
Les noirs et blancs se consolent par le fait qu'ils ont gagné par le plus grand écart 7 à 1 en 1953, mais restent sans véritable argument face aux fait que l'éternel rival a remporté la Coupe d'Europe des clubs champions en 1991.
Samedi, l'Étoile rouge peut creuser un écart à neuf points en cas de victoire et avancer vers un 28e titre. Mais dans un championnat très faible, personne ne s'en préoccupera vraiment. En Serbie, les amoureux du football s'intéressent désormais plus à Chelsea ou au Real Madrid qu'aux derbys de la capitale.