Madjer doit valider sa politique des joueurs issus du championnat local

C'est en septembre prochain que l'équipe nationale algérienne, privée de la Coupe du Monde au Russie, va renouer avec les matches à enjeux. Il reste donc six mois, mais le peuple et les supporters des Fennecs ne vont assurément pas attendre cette date-là pour juger le travail de Rabah Madjer. Malgré un bilan quasi parfait jusque-là (trois victoires en trois matches, dont une sur tapis vert), l'ancienne légende du football local ne fait pas l'unanimité en tant que sélectionneur. Et ce n'est pas la composition de sa dernière liste qui a calmé le débat concernant son aptitude à redorer le blason des Verts.
Pour les deux matches amicaux de ce mois de mars, prévus ce jeudi contre la Tanzanie puis face à l'Iran mardi prochain, Madjer a convoqué 24 éléments. Et parmi ces éléments, 11 sont issus du championnat national et la plupart n'ont encore jamais connu une sélection chez les A. Un taux important de locaux suscitant inévitablement des questions. En premier lieu, celle de leur niveau. Sont-ils suffisamment bons pour être là, et surtout pour prendre la place de ceux qui étaient installés en sélection depuis longtemps ? D'autre part, un bouleversement d'une telle importance peut-il vraiment être bénéfique au collectif ? Enfin, les Sofiane Feghouli, Ryad Boudebouz et Rais M'Bolhi, pourtant performants dans leurs clubs respectifs dernièrement, n'ont-ils vraiment plus le niveau pour défendre le maillot de leur pays ?
Un manque de communication qui irrite
Ces questions, ou une partie d'entre elles, auraient peut-être déjà pu trouver des réponses si Rabah Madjer avait, comme le protocole le dicte, participé à des conférences de presse après l'annonce de la liste puis lors du début du rassemblement. Or, et sans la moindre justification, le successeur de Lucas Alcaraz a choisi de snober la presse. À peine s'est-il contenté de commenter sa liste dans une vidéo publiée sur le site de la fédération. En parcourant tranquillement les noms des convoqués et sans s'exposer à la moindre objection.
Pourquoi cette posture ? A-t-il été marqué par le clash de l'automne dernier avec un célèbre journaliste local (Maamar Djebbour) et qui a fait le tour de toutes les chaines du monde ? Une hypothèse qui n'est pas à écarter. Tout en essayant de comprendre Madjer, Tahar Cherif El-Ouazzani, ex-international (66 capes entre 1984 et 1996) et aujourd'hui coach en Ligue 1 locale (à l'USM Bel-Abbes) partage cet avis : "Normalement, il doit y avoir des conférences de presse. Parce que c'est l'équipe nationale. Le peuple algérien a raison de vouloir savoir ce qui se passe, nous a-t-il confié. Cela dit, il (Madjer) sait ce qu'il fait. C'est sa manière de fonctionner et il faut le respecter. Il ne faut pas mal le prendre. Il subit beaucoup de pression et c'est pour ça qu'il veut travailler dans la tranquillité".
Le championnat national surestimé ?
Madjer s'enferme donc dans une bulle et évite toute situation embarrassante. Néanmoins, il n'est pas besoin de l'entendre parler pour savoir quel visage il compte donner à sa sélection. Avant même de retrouver ce poste, il s'est clairement exprimé en faveur d'une équipe d'Algérie avec plus de joueurs "locaux" et aussi plus "africanisée". C'est tout à son honneur d'avoir une idée précise du chemin qu'il veut emprunter, mais ne fait-il pas fausse route en accordant au championnat national un crédit plus important qu'il ne le mérite ? Les avis divergent.
Parmi ceux qui pensent que la Ligue 1 algérienne est encore en retard en terme de niveau, il y a notamment Abdelhafid Tasfaout. Meilleur buteur de l'histoire de la sélection, ce dernier est assez bien placé pour jauger le niveau du championnat. Il y a évolué pendant 8 ans pour ensuite s'exiler à l'étranger durant sept saisons avant de devenir adjoint des sélections A et espoirs. Pour lui, et tout en convenant qu'il existe des exceptions, un joueur "local" n'est pas encore armé pour le plus haut niveau. "Personnellement, je pense qu'on a quelques bons éléments. Mais j'ai tendance à penser qu'un joueur algérien, et qui est encore en Algérie, reste à l'état brut. Il n'a pas été bien travaillé, ni bien formé. Et c'est pour cette raison que ce joueur, d'une manière générale, ne progresse pas beaucoup", a-t-il déclaré à Goal.
Quelles sont les raisons de cette stagnation alors que le championnat a beaucoup évolué sur le plan des structures, s'est professionnalisé et a tiré profit de meilleurs moyens financiers ? Tasfaout toujours : "Le problème avec le joueur "local", c'est qu'on n'est pas dans la continuité. Est-ce que c'est mental, est-ce que c'est psychique, est-ce que c'est l'environnement ? Chez nous, un joueur peut te faire une grande saison, et passer totalement à côté de la suivante. Ou même d'un match à l'autre. Il n'y a pas de constance. Je le répète, c'est des joueurs qui sont restés à l'état brut. Ils n'ont pas été bien formés et c'est valable pour les joueurs de tous les clubs algériens. La formation n'est pas au niveau".
Un avis tranché que ne partage pas cependant son ex-coéquipier El Ouazzani. Pour ce dernier, la présence massive de joueurs dits "locaux" dans la dernière liste est justifiée : "Madjer et ses adjoints, ce sont des footballeurs et des entraineurs. Ils connaissent les joueurs locaux et leur niveau puisqu'ils les observent régulièrement. Personnellement, je trouve ça formidable qu'on offre des chances à tous ces joueurs. Leur niveau ? Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas le minimiser. Ils ont le potentiel pour jouer en sélection. À eux de justifier la confiance placée en eux".
Un fossé entre les potentiels titulaires et le reste du groupe
Ayant longtemps travaillé au sein de la fédération, guidé et conseillé les équipes des jeunes et Espoirs, Tasfaout devrait, en principe, être le premier heureux à voir autant de joueurs du cru intégrer la sélection A. C'est le cas, mais il ne perd pas son objectivité pour autant. "Dans la dernière liste, les joueurs du championnat local sont peut-être plus nombreux, mais pas tant que ça. Il y a peut-être 40% issus de notre Ligue 1, mais sur ces 40% il y a déjà trois gardiens. Et il n'y a qu'un seul des trois qui va jouer. Et pour ce qui est des autres, je crois que sur les 11 entrants lors des matches officiels, il y en aura 2 ou 3 tout au plus seulement. C'est beau d'en convoquer autant, mais j'ai la certitude que 95% du onze titulaire sera formé de joueurs évoluant à l'étranger. Pour moi, celui qui mérite de jouer doit jouer. Et si c'est les joueurs évoluant à l'étranger qui sont les plus méritants, alors ils doivent être alignés. Ce sont des Algériens à part entière."
Tout en plaidant la cause de ceux qui évoluent en Algérie, El-Ouazzani rejoint l'ex-Auxerrois et admet qu'il y a des joueurs évoluant de l'autre côté de la Méditerranée qui auraient mérité d'être convoqués. "C'est vrai que M'Bolhi, c'est un excellent gardien. Il a fait les beaux jours de la sélection et il nous a rendu de grands services. Mais il ne faut pas non plus oublier ce qu'a fait Chaouchi, notamment en 2009 lors du barrage pour le Mondial contre l'Egypte. M'Bolhi était inactif et il reprend à peine. Quant à Feghouli, c'est vrai qu'il est plutôt bon récemment. Pour Boudebouz, en revanche, il est clair qu'il aurait mérité d'être appelé car il est dans une excellente forme. Mais bon, je pense que Madjer ne fermera jamais la porte à personne. Il fait confiance à d'autres joueurs, mais il n'oublie pas ceux-là. On doit respecter ses choix".
Pour les "locaux", le chemin reste encore long
En attendant que les décisions de Madjer soient moins contestées- ce qui risque de ne jamais arriver-, il est permis de se demander comment les joueurs du championnat national peuvent se hisser au niveau des autres. Que doivent faire les nouveaux appelés pour bénéficier d'autres convocations à l'avenir et devenir des visiteurs réguliers du centre de Sidi Moussa ?
Tasfaout pense qu'il y a toute une mentalité à changer et que cela ne peut survenir qu'à travers une prise de conscience générale. "J'ai comme l'impression que les joueurs locaux ne se concentrent pas totalement sur leur métier. C'est que ces joueurs-là sont tellement à l'aise financièrement dans ce championnat qu'ils ne se donnent pas la peine de travailler plus pour aller encore plus loin. Ils sont dans un confort et ils se demandent pourquoi faire plus d'efforts. Il y a un manque de motivation. On n'essaye pas de donner le meilleur et de progresser encore en se fixant des objectifs. La plupart des joueurs raisonnent comme ça. Ces joueurs regardent les matches de l'étranger et disent qu'ils sont fans du Real et du Barça. Moi, ça ne m'intéresse pas qu'ils soient fans. Moi, celui qui me plait c'est celui qui cherche à atteindre le niveau des plus grands, en voyant comment il peut encore progresser. Et pas seulement à travers le football, mais aussi au niveau de l'hygiène de vie de ces grands champions. Celui qui regarde les Barcelonais ou les Madrilènes comme un simple supporter restera petit".
El Ouazzani ne dit pas autre chose, tout en incluant un autre facteur qui pourrait jouer un rôle important dans la progression des locaux. "Il faut qu'ils travaillent dans leurs clubs, qu'ils soient sérieux et qu'ils aient une bonne hygiène de vie, a-t-il indiqué. Mais c'est aussi une question de confiance. Ils ont tous l'espoir de jouer en sélection, les joueurs locaux ou ceux qui sont à l'étranger. Je ne pense pas qu'ils se reposent sur leurs lauriers, surtout qu'ils savent maintenant que le sélectionneur peut faire appel à eux et qu'il continue de suivre le championnat".
Enfin, il reste le problème des connaissances tactiques à inculquer. Et sur ce point-là, les pensionnaires de la "Ligue 1 mobilis" partent de très loin. "Oui, il existe des limites, mais on en revient au problème de la formation, qui est très en retard, éclaire Tasfaout. Ils n'ont pas été suffisamment bien formés dans ce domaine. C'est un vrai déficit, et ils l'ont dès leur plus jeune âge. Ce n'est que maintenant qu'on a commencé à intégrer tous les paramètres, notamment la vidéo, l'observation et l'étude de ce qui doit être fait avec ou sans le ballon. Les clubs commencent à comprendre. Il faut du temps pour que ça prenne".
Pour l'instant, Madjer a encore le soutien de tous
Viendra peut-être un jour ou le championnat algérien ne souffrira plus autant de la comparaison avec l'Europe. À ce moment-là, une liste de convoqués avec un tiers de locaux ne fera alors pas autant de débats. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui et c'est pourquoi les choix de Madjer interpellent.
Face aux contestations extérieures, le patron des Fennecs a choisi d'être sur la défensive. Cependant, qu'il se rassure, tout en étant montré du doigt, il peut pour l'instant compter sur le soutien de la majorité des suiveurs d'El Khadra. Car personne ne souhaite la faillite de l'équipe. "Moi, en tant qu'Algérien, je ne souhaiterai à la sélection que du succès, tonne Tasfaout. On a beaucoup de joueurs de valeur, et des joueurs de qualité. On a des grands noms, dont un qui vaut 70M€ minimum. Le plus important c'est d'aller de l'avant, d'essayer de se renouveler. Car le peuple attend beaucoup de cette sélection. Il y a eu des déceptions après le Mondial, mais j'espère que le futur sera plus radieux. Et les joueurs sont les seuls à pouvoir relever ce défi".
El Ouazzani abonde dans le même sens en plaidant l'union sacrée autour de ces Verts :"Madjer, je l'ai connu comme coéquipier et aussi comme coach. Je peux dire que c'est un passionné, il aime son métier. Il est professionnel, il aime la discipline et a de l'ambition. Il faut le soutenir. Pourquoi pas un retour prochain sur le devant de la scène ? On a de bons joueurs, qu'ils jouent dans le championnat national ou dans les championnats étrangers. On a aussi un staff technique qui a de l'expérience. Nous restons un pays de football, et tout est mis en œuvre pour un retour au premier plan. Soyons tous derrière cette équipe". Le message est passé.