Vendredi, après 28 ans d'absence, l'Egypte fait son entrée en lice en Coupe du Monde. À Ekaterinbourg, les Pharaons se mesurent à l'Uruguay dans un match déjà décisif en vue d'une qualification pour les 8es de finale. Une rencontre à laquelle aurait bien aimé participer Ahmed Hassan, l'une des grandes légendes footballistiques de ce pays. Mais après 17 ans de bons et loyaux services, ce dernier est aujourd'hui à la retraite.
Avec 184 capes à son actif, Ahmed Hassan est le joueur le plus capé de l'histoire du football. Il est aussi celui qui compte, en compagnie d'Essam El-Hadary, le plus de consécrations en Coupe d'Afrique (4). Une carrière bien remplie qui lui offre la légitimité pour jauger la sélection égyptienne actuelle. Dans cette interview qu'il nous a accordée, l'ancien joueur d'Anderlecht porte donc un regard bien précis sur la bande à Hector Cuper et ses chances de briller en Russie. Il évoque aussi la dépendance des Pharaons envers leur joueur vedette, Mohamed Salah.
Que faites-vous aujourd'hui ? Quel est votre quotidien ?
Ahmed Hassan : Actuellement, je travaille pour la chaine égyptienne DMC Channel où j'analyse les rencontres de la première division égyptienne. Et auparavant, je m'occupais d'une équipe comme entraineur.
Vous avez été entraineur de Petrojet. Est-ce que le métier d'entraineur vous plait, et souhaitez-vous continuer dans cette voie ?
Oui, je veux continuer comme entraineur. C'est mon souhait. Mais le faire de manière plus professionnelle et dans un contexte plus appréciable. Il faut que ça soit plus organisé que là où j'étais avant. Il y a des postes où on n'est pas jugés par rapport à l'expérience ou les compétences qu'on possède, mais plus par rapport à ton carnet d'adresse et les liens que tu possèdes avec des dirigeants et agents influents. Moi, c'est quelque chose que je ne peux pas accepter, et j'ai suffisamment de vécu pour savoir que ce n'est pas comme ça que je veux travailler. Si je bénéficie d'un projet sérieux et respectueux, je reviendrais au métier d'entraineur. Mais sinon, je préfère encore continuer comme consultant.
Vous avez été champion d'Afrique à quatre reprises. Que reste-t-il de ces consécrations ? Des souvenirs gravés à jamais dans votre mémoire ?
Oui, ce sont bien sûrs de très grands et agréables souvenirs. Car il n'y a rien de plus savoureux dans la vie que des succès avec ton pays. Il y a des triomphes avec ton club où tu célèbres avec tes supporters mais cela ne vaut pas les triomphes avec ta sélection nationale. Tu en profites avec un public plus large. C'est un sentiment différent et surtout magnifique. Pour parler des tournois de manière plus détaillé, je dirais que le tournoi de 1998 c'était mon premier et c'est celui où je me suis fait connaitre auprès du public égyptien. Parce que j'étais jeune et je n'avais pas encore beaucoup de matches avec la sélection. Je me rappelle avoir réalisé une très grande finale, et la prestation et le but que je marque m'ont beaucoup aidé afin de lancer ma carrière. 2006, c'était à domicile et c'était très important pour nous et nos supporters. Le public nous a aidés dans la conquête. En 2008, c'était le tournoi où j'ai été capitaine la première fois et où j'ai donc pu soulever le trophée en premier. C'était très important pour moi. En 2010, on remportait notre dernier titre et on devenait la sélection la plus titrée en Afrique. Et personnellement, j'ai été nommé meilleur joueur en 2006 et en 2010. Donc, bien sûr, ça reste de très beaux souvenirs.
Laquelle de ces Coupes d'Afrique a été la plus dure à conquérir ?
Je pense à celle de 1998. Nous n'avions pas encore une très grande équipe à l'époque. C'était une sélection jeune et personne ne s'attendait à ce qu'on réalise un tel exploit. En 2006, ce n'était pas facile non plus car vous savez certainement toute la pression qu'il peut y avoir lors des compétitions jouées à domicile.
Vous avez gagné quatre CAN, mais vous n'avez pas disputé de Coupe du Monde. Est-ce un regret éternel ?
Je pense qu'on aurait mérité en effet de disputer une phase finale de Coupe du Monde. Mais en fin de compte, c'est le football qui est comme ça. Nous avons réussi beaucoup de bons résultats, mais nous avons manqué cet objectif. Mais, on a tout fait pour. Et je pense que le facteur de la réussite nous a manqué. Tout le monde s'est accordé à dire que cette équipe méritait de disputer au moins une fois le Mondial. Mais nous remercions Dieu pour ce que nous avons eu. Ce que nous avons accompli sur la scène continentale sera difficile à rééditer, même si j'espère la plus grande réussite pour la sélection actuelle.
"L'Egypte ne pouvait pas espérer un meilleur groupe au premier tour" Que pensez-vous de la sélection égyptienne actuelle ?
C'est une très bonne sélection, avec beaucoup de joueurs de qualité. Plusieurs joueurs qui évoluent en Europe aussi. Il lui manque peut-être un peu d'expérience puisque la sélection est assez jeune et qi'elle ne s'est pas encore confrontée aux plus grandes nations. Mais elle il vient d'atteindre la Coupe du Monde et pour cela nous devons saluer tout son mérite. J'espère qu'elle aura un avenir radieux. Cette sélection est allée au Mondial alors que cela faisait 28 ans qu'on ne l'a pas fait. J'espère qu'ils vont y briller, malgré, je le répète, le manque de vécu dont elle pâtit au plus haut niveau.
En termes de talent, seriez-vous d'accord si on vous dit que la vôtre était mieux armée ?
Si on compare les deux générations, c'est sûr que la nôtre était meilleure en termes de talents et on pratiquait un jeu séduisant. Individuellement et collectivement c'était d'un autre niveau. Mais, en même temps, la sélection actuelle a réalisé ce que nous ne sommes pas parvenus à faire : jouer une Coupe du Monde, en plus d'avoir atteint une finale de CAN. Et on ne peut pas négliger ça. Et puis, bon, ça ne serait pas vraiment approprié de commencer à comparer les deux équipes.
Que pensez-vous des chances de l'Egypte de briller à la Coupe du Monde. Jusqu'où peuvent-ils aller ?
Nous avons une sélection bien équilibrée, plutôt bien organisée, mais il lui manque encore beaucoup de choses. J'espère vraiment qu'elle va atteindre la phase à élimination directe de cette Coupe du Monde.
Comment évaluez-vous votre groupe du premier tour ?
C'est un groupe très équilibré. Cela dit, si on avait la possibilité de choisir nous-mêmes notre groupe, il aurait été difficile d'obtenir un meilleur groupe. La sélection de l'Uruguay sort du lot. C'est la plus forte, je pense. Et les trois équipes restantes, je pense qu'elles partiront toutes avec des chances égales. La Russie ne fait pas vraiment partie des cadors. Les Saoudiens, eux, on ne peut pas dire qu'ils partiront favoris. Sincèrement, on a quand même de bonnes chances de sortir de ce groupe.
Que pensez-vous de Mohamed Salah ? Nous, il nous surprend chaque jour et vous ?
Je pense que Mohamed Salah a surtout pris le dessus sur lui-même. Il a réalisé des exploits sans précédents. Et je pense que lui-même ne s'attendait pas à monter aussi haut et parvenir là où il est aujourd'hui. Il réalise de très belles choses et il est devenu un digne ambassadeur, non seulement pour l'Egypte mais aussi pour tout le monde arabe. A l'heure actuelle, il fait partie des tous meilleurs joueurs du monde. Il sort d'une saison exceptionnelle. Et je suis sûr qu'il va encore progresser énormément et continuer sur le même chemin.
Vous dites qu'il a pris le dessus sur lui-même. C'est à dire ?
Il est venu à bout de lui-même dans le sens où il a réalisé une saison exceptionnelle, tant au niveau du rendement, de l'efficacité, des buts marqués et de l'impact qu'il peut avoir sur son équipe. Il a évolué partout. C'est devenu un tout autre joueur.
Pensez-vous qu'à lui seul, il peut guider l'Egypte vers le deuxième tour de la Coupe du Monde ?
C'est sûr que toute l'Egypte compte sur Salah pour nous emmener loin. Et c'est sûr qu'il est la star de l'équipe. Mais j'ai le sentiment que si on place tous nos espoirs sur lui et ses exploits, nous n'irons pas loin. Il faut aussi qu'on ait d'autres solutions individuelles et collectives. Et on a d'autres joueurs de qualité comme Sobhi Ramadan, Trézeguet, Mahmoud Kahraba, Marawan Mohsen. Nous avons vraiment un bon groupe. Il faut qu'on arrive à tous bien les utiliser. Dans le football, c'est surtout le collectif qui compte et qui te permet de réaliser de grandes performances. Si on part en Russie avec l'idée que Salah nous fera briller à lui seul, ça va être très compliqué.
A l'étranger, les spécialistes commencent à le comparer à Lionel Messi dans sa façon de jouer. Est-ce ridicule ? Ou est-ce que vous voyez vraiment des similitudes dans le style de ces deux joueurs ?
Non, je trouve que c'est une bonne chose. Mais bon, Messi, ça reste Messi. Et au-delà des qualités qu'il possède, on doit se souvenir que cela fait une dizaine d'années qu'il se maintient au plus haut niveau. Avec un rendement et une efficacité intacts. Qu'on compare Salah avec lui, ou avec d'autres grands joueurs c'est bien, et ça peut se comprendre au regard de la saison qu'il a réalisée. Néanmoins, Salah vient tout juste de se lancer, et il faudrait qu'il continue sur la même voie et confirme sur la durée. Personnellement, je n'aime pas trop les comparaisons. Il faudrait qu'on distingue chacun et qu'on apprécie les performances de chaque joueur sans avoir à comparer avec celles des autres.
Pensez-vous que la réussite de Salah en Europe va donner encore plus de confiance aux joueurs du championnat égyptien ? Voire aux joueurs arabes en général.
C'est vrai. Pour tout joueur arabe qui aspire à réussir à l'étranger, il a ouvert une porte. Sa réussite hors des frontières égyptiennes, mais aussi celles des joueurs comme Elneny, Ramadan Sobhy ou Hegazy, ça peut inspirer les autres. Et c'est la preuve que les clubs européens, et en particulier les Anglais, suivent les joueurs égyptiens.
Un mot sur l'Equipe de France. Quelle est votre opinion sur cette sélection ?
C'est une très grande équipe et une très grande nation de football. Ils ont des atouts, et beaucoup de talents. Cela dit, il faudra le démontrer sur le terrain. L'histoire ne compte pas. Le football est un éternel recommencement. Mais sur le papier, c'est sûr qu'ils sont bien armés et peuvent aller très loin dans cette Coupe du Monde.