Dans un pays qui chérit les Petits Poucets, Guingamp, ville de 7.000 habitants mais aux 15.000 spectateurs de moyenne par match, jouit d'un appréciable capital sympathie, parfois teinté de condescendance parisianiste.
Son ascension des tréfonds du football français, dans les années 1970, à la première division, au milieu des années 1990, épouse celle de Noël Le Graët, son président de 1972 à 1991 et de 2002 à 2011.
Affaires, politique, football, tout a réussi à ce fils d'un chauffeur routier et d'une ouvrière dans le machinisme agricole, toujours alerte dans ses analyses à 76 ans, malgré la leucémie dont il a annoncé être atteint ce printemps, mais qu'il dit aujourd'hui guérie.
Fonctionnaire des impôts, puis commercial, Noël Le Graët rachète en 1986 une petite entreprise de salaisons à 20 km de Guingamp, qu'il reconvertit dans les plats surgelés.
Trente ans plus tard, le Groupe Le Graët réalise 200 millions d'euros de chiffre d'affaires dans les surgelés, la conserverie et la pêche, avec 800 employés sur 11 sites bretons.
Homme d'influence et d'argent
Au milieu des années 1990, Le Graët se lance également dans la politique locale. Il fera deux mandats comme maire de Guingamp (1995-2008), sous l'étiquette PS.
Il y fera preuve du même sens redoutable de la négociation, obtenant par exemple des fonds du plan Borloo de rénovation urbaine en 2005 pour rafraîchir, entre autres, les HLM qui bordent le stade du Roudourou, alors que Guingamp, trop petit, ne pouvait y prétendre.
Aujourd'hui encore, rien de ce qui se passe à Guingamp ne lui est étranger.
La maternité de Guingamp est menacée de fermeture? Il profite du Mondial pour plaider sa cause auprès d'Emmanuel Macron et un sursis de deux ans est annoncé un peu plus tard par l'Élysée.
Il en va de même avec le club, laissé à son gendre, Bertrand Desplat, en 2011 et son entreprise, confiée à ses trois filles en 2014.
Homme d'influence, Noël Le Graët est aussi un homme d'argent. Au sens noble du terme.
Pour assurer la pérennité de l'En-Avant, il a créé une structure capitalistique qui compte aujourd'hui 142 actionnaires pratiquement à parts égales.
Le football français a aussi bénéficié de ses qualités de gestionnaire avec la mise en place de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) lorsqu'il était président de la Ligue de football professionnel (1991-1998).
"Mafia" Bretonne
Et en 2008, en tant que vice-président de la FFF, il avait senti le contexte favorable pour anticiper l'appel d'offre de l'équipementier des Bleus.
Cela avait débouché sur un contrat record avec Nike: 42,6 millions d'euros/an, passé à 50 millions d'euros cette année. En 2010, dernière année du contrat avec Adidas, avec l'affaire de Knysna, il aurait été bien moins lucratif.
Ces succès ne vont évidemment pas sans quelques jalousies ou soupçons tenaces.
Les tirages prétendument avantageux de Guingamp en Coupe de France ou de la Ligue font souvent jaser. On raille aussi parfois la "mafia" bretonne à la FFF.
Il y a les Bretons pur jus, comme Sylvain Ripoll, le sélectionneur des Espoirs ou Guy Stephan, l'adjoint de Didier Deschamps, et ceux d'adoption comme le sélectionneur, marié à une Bretonne et qui possède une maison dans le Finistère, ou le directeur technique national Hubert Fournier, passé comme joueur par Guingamp.
Le choix du Roudourou pour affronter l'Islande porte forcément sa marque.
"Contre l'Islande, on se disait qu'il ne serait pas judicieux de jouer dans un stade de 60.000 places. Alors on a pensé à Guingamp, où je connais quelqu'un...", a-t-il malicieusement répondu à Ouest-France, mercredi.
Quant à son avenir, il reste vague: "Je suis élu jusqu’en 2020 et j'assumerai jusqu'à la fin de mon mandat. La suite? On verra".
"Je ne sais pas dans quelle forme je serai, il sera peut-être temps d'arrêter et de passer un peu plus de temps à Guingamp", qu'il n'a pourtant jamais vraiment quitté.