Antoine Griezmann est sorti de sa zone de confort en quittant son cocon madrilène pour rallier Barcelone. Sa première "Decision" a pu froisser tous les protagonistes de l'affaire, mais celle-ci le projette dans un autre monde. C'est le choix de la difficulté. Parce que l'histoire montre que la connexion entre ce club et les Français n'a pas toujours été fluide, déjà. Et parce que les conditions du transfert ne le sont pas davantage. Mais qu'importe, au fond, ces questions d'image sont déjà derrière lui. Aujourd'hui, Griezmann n'est plus dans le virtuel, il entre dans le vif du sujet.
Pendant toute la durée du feuilleton, la presse catalane a laissé entendre que les cadres du vestiaire n'avaient pas vraiment digéré le méli-mélo de l'an passé. Alors bien-sûr, tous les regards se tourneront vers Lionel Messi, roi d'un club où tout le monde est de passage sauf lui depuis plus d'une décennie. Pour un recrue offensive de très haut niveau, la relation avec Messi est même devenue une sorte d'examen de passage. Suarez, Neymar, Henry (sans mention) l'ont passé. Pas Ibrahimovic. Griezmann y parviendra-t-il ? D'apparence, à l'instant T, l'intégration s'annonce délicate, mais ces deux-là peuvent aussi faire un carnage. Pourquoi ?
Parce qu'ils parlent le même langage technique
Pour établir une connexion avec un partenaire d'attaque, Lionel Messi ne doit pas sortir de son registre - aussi large soit-il. En d'autres termes, c'est à ses partenaires de s'adapter à lui, pas l'inverse. Et il faut avoir le bagage pour. C'est le cas d'Antoine Griezmann, dont le toucher de balle dans les circuits de passes - remises, combinaisons, une-deux et tout ce qui s'inscrit dans le jeu court - n'est plus à démontrer. Fignolé par Simeone à l'Atlético, le Français a été biberonné à l'école espagnole quand la Real Sociedad l'a déniché de sa Bourgogne natale pour en faire le footballeur qu'il est. Avec Xavi et Iniesta comme avec le S et le N de la fameuse MSN, Messi a toujours développé ses relations techniques grâce à ces préceptes-là. Ce sont les préceptes du Barça. Et Messi est le Barça.
Parce qu'évoluer dans la même zone n'est peut-être pas un inconvénient...
Voici l'argument utilisé par tour tous ceux qui voient de la friture sur la ligne : Messi et Griezmann évoluent dans la même zone. Attirés par le ballon, gauchers, créateurs, passeurs, buteurs, les deux joueurs ont une zone d'influence commune parce qu'inhérente à leur registre. Ils déclenchent souvent leurs actions dans la même aire du terrain, axe-droit. Imaginer le Français marcher sur les plates-bandes de l'Argentin serait pourtant réducteur. Par le passé, nombre de maîtres à jouer ont su accorder leurs violons pour améliorer une partition.
On pense au grand Brésil de 1970, qui cumulait dans son onze Pelé, Gérson, Jairzinho, Rivelino et Tostão, cinq numéros 10 théoriques. On pense aussi à l'équipe de France de Platini, où le maître à jouer des Bleus a cohabité avec Giresse. Bref, s'ils le veulent tous les deux - et Antoine Griezmann le veut, forcément - ces deux créateurs marcheront ensemble. Les clés sont entre les mains du patron.
Parce que Griezmann a fait allégeance au roi
Après avoir rappelé qu'il se ferait pardonner - si tant est qu'il doive le faire, "sur le terrain, là où (il) s'exprime le mieux", le champion du monde n'a pas manqué son discours lorsqu'il a abordé Messi sur fond de maté et de passes décisives. Sourire aux lèvres, il cultive un personnage propre à tout désarçonner, alliant une forme de désinvolture à un discours de bon élève. Avec ses références, bien à lui. "C’est le numéro un, une référence pour tout le monde. En NBA il y a LeBron James et au foot, il y a Messi. C’est une légende pour mon fils, ça le sera pour mes petits-fils, c’est une joie incroyable de pouvoir jouer avec lui", a-t-il lâché dans le ton linéaire qui le caractérise, avant de se retourner avec une pointe d'autodérision sur la plus maladroite de ses sorties médiatiques.
"La table de Messi ? J’y serais pour profiter et manger, je vais apprendre beaucoup de lui, regarder ses gestes, j’ai hâte de le voir jouer". Griezmann a donc fait ce que Neymar a fait avant lui : faire allégeance au roi. Dans la hiérarchie de ce club-là, cet élément de langage est presque obligatoire.
Parce que l'artiste Griezmann a une autre facette
Malgré leurs profils comparables, Lionel Messi et Antoine Griezmann sont évidemment deux footballeurs bien différents. S'il tente de s'en rapprocher, l'attaquant star des Bleus n'atteint pas les altitudes du joueur le plus créatif de son époque. Le Français n'a pas sa qualité de dribbles, entre autres. Mais son évolution a étonné beaucoup de monde parce qu'il a su s'approprier des vertus qu'on ne lui soupçonnait pas. Dans une machine de guerre comme l'Atlético, sorte d'antithèse du Barça, Antoine Griezmann a renforcé son goût pour le combat. Un sens du sacrifice qui peut lui conférer une place particulière dans le rapport qu'il aura avec les autres - Messi, ses coéquipiers et même le public. Depuis l'émergence de Kylian Mbappé, le numéro 7 des Bleus démontre et répète qu'il n'a aucun problème à partager la lumière, quitte à la laisser quand l'équipe est en mission.
Parce que la polyvalence de Griezmann peut créer de nouveaux circuits
Avec Antoine Griezmann, Valverde récupère un attaquant de haut niveau particulièrement flexible. Sur sa longue route qui le voit grimper toujours plus haut, le Français s'était révélé sur les côtés - y compris le gauche, où il a fait ses premiers pas en Bleu. On ne va pas se mentir, ce flanc-là ne serait pas un cadeau dans sa quête d'épanouissement. Coutinho, Dembélé ou même Neymar, parfois ont mesuré l'ampleur de la tâche. Mais Griezmann peut aussi occuper une position plus proche de Messi, à droite ou dans l'axe, derrière ou autour de Suarez.
Au de la trajectoire sportive de ce même Suarez, la perspective de voir une concurrence émerger entre les deux à ce poste n'est pas exclure, d'autant que Valverde devra trouver un équilibre, surtout s'y Neymar rejoint l'armada. Quoiqu'il en soit, dans son niveau de performances, Antoine Griezmann affiche une toute autre constance que Coutinho ou Dembélé. Messi le sait. Pour lui, aussi, l'avenir se prépare maintenant. Le roi a tout intérêt à apprivoiser les lieutenants qui l'incarneront...