Marcel Desailly a accepté de répondre aux question de 'Goal' sur la Coupe du Monde en Russie et notamment ce qu’il veut voir au niveau du jeu mais aussi de l’Équipe de France, de sa jeunesse mais aussi de son secteur défensif. 20 ans après sa victoire et son titre de champion du monde, le souvenir de 1998 n’est jamais bien loin pour celui qui était surnommé « le Roc ».
Comment vous sentez-vous à trois jours du coup d'envoi de cette Coupe du monde ?
"Impeccable ! C’est une compétition qui m’est chère. Cette année, on sent qu’on a un vrai potentiel avec cette Équipe de France. J’ai hâte de voir ça !"
Le fait que ce soit dans un pays avec une passion pour le football moindre ne vous dérange pas ?
''Non je ne pense pas ! Au contraire le football est bien développé là-bas. Il y a un vrai championnat avec des équipes performantes comme le Zenit et le CSKA Moscou. Toutes les conditions sont réunies pour une belle édition.''
Comment sentez-vous cette équipe de France avant son entrée en lice face à l’Australie, le 16 juin ?
''Agréablement surpris de leur performance face à l’Italie, on a le sentiment que dans l’animation offensive, Didier (Deschamps) a trouvé ce qu’il voulait. On sent que Dembélé peut être la belle révélation de cette équipe. On comprend mieux pourquoi Coman et Martial ont été laissés à la maison, afin qu’il puisse s’exprimer en toute liberté.''
On dit souvent que les Bleus possèdent le meilleur potentiel offensif du monde… Vous validez ce point de vue ?
''On a un très bon potentiel oui, mais pour Mbappé, par exemple, on n’a aucune référence au niveau international, en sélection, qui est d’une toute autre exigence. Sur les moments décisifs, ce sera peut-être crucial ce déficit de connaissance des grands rendez-vous.''
Vous qui connaissez si bien Didier Deschamps depuis Nantes, Chelsea et vos années en Bleus, que doit-il faire pour porter cette équipe sur le toit du monde ?
''Ça me fait toujours sourire quand on me dit que je le connais par coeur (rires), c’est devenu tellement naturel. Il ne peut rien faire au-delà de mettre en place sa philosophie de jeu mais après, il n’est pas dans la tête et les jambes des joueurs. Il faut digérer la pression de ce tournoi mais aussi avoir conscience de ce que le maillot tricolore représente. Il n’y a que la confiance collective qui permettra d’aller au bout, en mettant au mieux les différents éléments. Pour moi, la démission de Zidane (au Real Madrid, le 31 mai dernier, ndlr) ne va pas l’impacter. Il a d’autres soucis à régler.''
La France aura la deuxième équipe la plus jeune du tournoi derrière le Nigeria, est-ce un handicap pour ce genre de rendez-vous ?
Ça se joue à un ou deux ans près avec beaucoup d’équipes. La réflexion, c’est plus de se dire que les latéraux sont des novices, tout comme Mbappé et Dembélé. La défense centrale devrait être aussi complémentaire, On attend la confirmation depuis longtemps pour Umtiti et Varane chez les Bleus mais j’y crois, ils sortent chacun d’une grosse saison en club. Après les huitièmes, il faut une notion de chance pour aborder les quarts de finale avec un capital de confiance énorme pour atténuer ce manque d’expérience.
Quelles sont vos attentes justement en terme de jeu pour cette Équipe de France ?
Vous savez, je fais partie de cette génération qui a grandi avec cette idée selon laquelle seul le résultat compte, peu importe la manière. Pour moi, le beau jeu, il faut le laisser aux Espagnols et aux Brésiliens. Il faut qu’on soit dans notre propre style à savoir miser sur nos temps forts, dans la rapidité, dans la projection tout en étant malins dans notre transition entre bloc défensif et offensif. Pour le jeu, il faut être lucide, on ne l’a pas.
Ces dernières semaines, Paul Pogba a été au centre des attentions, notamment pour ses performances moyennes. En fait-on trop avec lui ?
Ça fait un paquet d’années qu’il a cette pression autour de lui et de ses performances. Nous sommes unanimes autour de son potentiel extraordinaire mais je pense qu’on lui en demande un peu trop. Il peut faire des différences mais d’autres joueurs peuvent assumer le rôle de leaders. C’est une valeur ajoutée pour l’équipe, par rapport à ma génération actuelle, il est d’ailleurs plus talentueux que n’importe quel milieu de terrain. Mbappé, Griezmann, Giroud, c’est surtout eux qui doivent être décisifs.
Pour ce qui est des Bleus, la charnière Umtiti-Varane est-elle au point selon vous ?
Ils sont très bien protégés par le système qui est mis en place. Si N’Golo Kanté joue devant eux, pour combler les brèches. Quand il faudra hausser son niveau au fil de la compétition, je pense qu’ils peuvent répondre présent. Ils ont appris cette caractéristique dans leurs clubs, notamment en Ligue des champions. Ils savent comment faire quand la complémentarité n’est pas au top pour compenser et retrouver de l’équilibre.
Varane sort-il de la meilleure saison de sa carrière avec le Real Madrid, notamment avec ses performances en Ligue des champions ?
Il commence à faire partie de ces joueurs qui sont des références en Europe, en allant chercher cette niaque au fond de lui pour ne pas être dépassé. Je ne me fais pas de soucis pour la charnière.
Presnel Kimpembe apparaît comme l'alternative la plus sérieuse, est-il prêt selon vous si on fait appel à lui ?
C’est un joueur très appliqué. Il a mérité sa sélection et sa présence à cette Coupe du Monde au fil des mois. Il ne jouera au milieu ni en latéral mais c’est une belle alternative, car il incarne l’avenir. Il est insouciant, à l’image de sa génération. Si tout se passe bien, il pourra jouer contre le Danemark lors du troisième match comme nous il y a 20 ans.
Quatrième homme, Adil Rami peut rendre bien des services également. Appréciez-vous sa personnalité et ses prestations ?
Il sait que c’est sa dernière Coupe du Monde, il a aussi une carte à jouer. Adil est posé, tranquille, il file sur sa fin de carrière en ayant cet objectif bien prestigieux. Il ne posera pas de problèmes dans le groupe, c’est dans la logique de Didier (Deschamps) de prendre des éléments qui s’intègrent très vite à son groupe avec l’ambiance et la détente qu’il faut.
"Comme tout le monde, je suis fasciné par le Brésil qui est selon moi l’équipe la plus forte derrière la France." Quelles autres sélections allez-vous suivre avec attention ? Un favori se dégage-t-il ?
Comme tout le monde, je suis fasciné par le Brésil qui est selon moi l’équipe la plus forte derrière la France. Je suis aussi intéressé par la Croatie, par la Belgique, à qui on avait prédit un gros avenir à l’Euro et qui devrait maintenant être mûre, comme l’Allemagne il y a quatre ans. L’Argentine également, pas seulement pour Messi, car des équipes qui se qualifient dans la douleur savent trouver cette énergie au fond d'elles pour aller loin.
Ce Mondial est-il aussi enivré du parfum de votre victoire en 1998 ?
Écoutez, pour vous dire la vérité, je ne regarde pas tous ces documentaires qui passent. Je suis confronté à l’historique de notre victoire, uniquement sur les témoignages des gens qui me disent l’importance de ce succès, au quotidien. Chaque jour quelqu’un vient m’en parler. Mais émotionnellement je n’arrive pas à regarder tout ça, c’est trop fort, ça va plus me mettre en déprime que de flatter mon égo, ou d’avoir constamment sa mémoire en lien avec.
On imagine votre fierté pour être devenu une référence au yeux de nombreux français…
Ça englobe beaucoup de choses, bien au-delà du football. C’est un vrai récit, une belle histoire comme on n’en fait plus… Enfin, il y en a une nouvelle qui va sans doute commencer bientôt.