C'est une histoire de car. Vers 15 ans, Yvonne, parcourait les routes rouges de latérite pour aller jouer au foot, deux à trois heures de bus, du vendredi au dimanche, pour partir de Kekem, après avoir aidé ses parents, Prosper et Madeleine, dans leurs champs de cacao et de café.
Elle quittait son village près de Bafang pour rejoindre Princesse Mbanga, un club féminin du département voisin, et ne pas jouer "qu'avec les garçons, parce qu'on n'a pas de catégories féminines chez les petites filles au Cameroun", explique-t-elle à l'AFP.
Sa grande sœur voyait d'un mauvais œil qu'Yvonne joue au football, un sport "pas fait pour les filles". Elle la forçait même parfois à descendre du bus. "J'en pleurais", a raconté Leuko à la Dépêche, du temps où elle jouait à Albi.
Mais sa volonté s'impose, avec la complicité du chauffeur de bus, qui la prend 1 km plus loin, et celle d'une amie qui embarque son sac de sport.
Et son talent finit par crever les yeux, notamment ceux de Carl Enow Ngachu, qui la surclasse en U17 du Cameroun. Elle ne quittera plus les sélections, et part même tenter sa chance en France, reprendre un autre car.
"Très difficile par moments"
Cette fois, elle sillonne les Yvelines pour aller du lycée, puis de l'université de Versailles, au club de foot de Montigny-le-Bretonneux.
Levée tôt, couchée tard, la latérale gauche des Lionnes Indomptables n'a pas compté les kilomètres pour réaliser son rêve, sans jamais négliger sa scolarité. Elle ne les compte pas non plus sur un terrain.
"C'était très, très difficile par moments", se souvient celle qui a fini avec une Licence de Gestion administrative.
"J'habitais Bois d'Arcy, je me levais à 6h, je prenais le train vers Rambouillet, puis le bus pour rejoindre l'université. De retour chez moi vers 18h, je posais mon sac de cours et prenais le sac de foot", décrit la joueuse de Montigny, avec qui elle a notamment évolué une saison en D1, en 2009-2010.
Elle n'a bénéficié d'aucun aménagement pour sportive de haut niveau. "Je n'étais pas française, pas encore une joueuse reconnue non plus, alors je faisais le cursus normal de tout étudiante", explique Yvonne Patrice Leuko Chibosso. Son deuxième prénom masculin était celui de la sage-femme de sa naissance, c'était un homme.
Des fois elle rentrait "à 2h du matin, le temps de finir les derniers TD. Il fallait que je fasse à manger et que je reparte le matin..."
"Ces années m'ont servi"
Mais "ces années m'ont servi" pour développer ses qualités de compétitrices. Et puis, "ici, l'école est gratuite, tant qu'on peut y aller il faut en profiter", insiste Leuko, qui a trouvé en "France, une terre d'accueil", qui est "mon second pays".
"Ça fait onze ans que je suis là aujourd'hui j'ai plus d'attaches en France qu'au Cameroun, certes ma famille est au Cameroun mais mes relations sont ici", dit la joueuse de l'AS Pierrots Vauban Strasbourg, en D2.
A 17 ans, elle avait même été repérée par un club allemand, Université SV Iéna. "L'essai était concluant, mais j'étais très jeune, mes frères m'ont dit que je devais continuer mes études, je suis retournée en France à Montigny", se remémore-t-elle.
Elle a aussi joué à Bagneux, Rouen, Albi ou Arras, où elle a gardé beaucoup d'amis, qui aimeraient venir l'encourager à Valenciennes en 8e de finale.
"Je ne sais même plus à qui donner des billets autour de moi!" plaisante Leuko.
Ces Anglaises, "elles sont fortes, admet Leuko, mais j'ai dit à mes coéquipières: Rendez-vous compte que nous étions dans une poule très difficile, je peux vous assurer que si on sort de cette poule on sera fortes+".
"L'Angleterre n'a qu'a bien se tenir, martèle-t-elle. Nous sommes assez aguerries, nous avons joué le Canada, la Hollande, nous sommes prêtes".
Yvonne, elle, est prête pour monter dans... un quart.