Paul Pogba peut-il devenir le leader de l'Equipe de France ?

C'était il y a un peu plus d'un mois. À l'occasion d'une interview pour 'Canal+', Paul Pogba avait clairement indiqué qu'il souhaiterait endosser le costume de leader de l'Équipe de France. À vingt-cinq ans, et fort de ses 53 capes internationales, la 'Pioche' pense avoir la légitimité pour tenir le rôle d'un chef. Et la Coupe du Monde qui se profile apparait à ses yeux comme l'occasion idoine pour franchir ce cap et marcher ainsi sur les pas des Platini, Blanc, Zidane, Henry ou encore Ribéry.
Le leadership que le milieu de Manchester United convoite est celui qui se rapporte au terrain. Même si ce n'est pas un garçon réservé, le natif de Lagny-sur-Marne n'a jamais cherché et ne cherchera assurément jamais à être le taulier du vestiaire. Ainsi, ce débat-là est clôt. En revanche, celui qui concerne ses aptitudes à atteindre son objectif et être le patron sur le pré suscite inévitablement des remous, voire même du scepticisme.
Jusqu'ici, il est dans l'ombre de Griezmann
Lors du dernier Euro, c'est Antoine Griezmann qui a été le Français le plus en vue. Le Mâconnais a fini meilleur buteur de la compétition, mais il a surtout inspiré l'équipe lors de ses succès les plus marquants (contre l'Eire et contre l'Allemagne). Il n'en faut assurément pas plus pour décréter qu'il a été le guide tricolore sur le rectangle vert, même si lui ne s'est jamais considéré comme tel. Alors, Pogba peut-il lui succéder et devenir à son tour l'élément qui hisse l'équipe vers le sommet ? Est-il aujourd'hui armé pour supporter tout le poids de ces attentes. Celles qui le concernent directement et aussi celles qui pèsent sur la sélection ?
L'outil des chiffres est un moyen intéressant pour juger si oui ou non Pogba a aujourd'hui la carrure d'un leader, même s'il ne dit pas toujours tout de l'influence d'un joueur. En comparant ses performances sous le maillot tricolore entre 2014 et 2016 avec celles qui ont suivi après l'Euro (*), il est possible de se faire une idée sur l'évolution de son rôle. Durant cette période de deux ans, est-il devenu un meilleur joueur en Equipe de France ? Quelqu'un dont la rentabilité dépeint sur les autres ?
En termes de gestes décisifs, l'on peut constater qu'il est devenu plus performant. Il compte 3 buts et 3 passes décisives en 15 matches depuis la finale du dernier Euro, alors qu'il avait marqué 3 fois et délivré une seule offrande en 22 matches durant les deux années précédentes. Il est décisif une fois toutes les 186 minutes, tandis qu'avant il l'était une fois toutes les 438 minutes. La différence est assez patente et suggère qu'il y a bien du mieux dans ce domaine.
Une efficience offensive en hausse et qui se vérifie aussi à travers le taux de tirs cadrés par match. Il en compte 46% aujourd'hui, contre 41% auparavant. Et, il est aussi plus entreprenant lorsqu'il se retrouve en position favorable dans le dernier tiers adverse, puisqu'il compte plus de tirs par match (2,5 contre 2,0).
Une influence dans le jeu qui reste perfectible
Mais l'efficacité devant les buts est-elle vraiment sur quoi doit être jugé l'ancien bianconero ? La réponse tombe sous le sens, et l'intéressé lui-même ne cesse de la rabâcher, de même que son sélectionneur. Dans un entretien à France Football (édition du mardi 5 juin), il avait même déploré qu'on fasse une fixation sur ses statistiques devant les buts alors que ça n'a jamais été sa mission première : "Je suis un 8, mais je ne suis pas jugé comme tel. Si je peux faire plus, je fais plus et tant mieux pour l'équipe. Mais ce n'est pas le joueur qui décide, il y a l'entraineur, un système, plein de choses (…) Ce n'est pas moi qui fait l'équipe et il y a des choses que je ne peux pas faire".
Pogba doit être évalué sur d'autres aspects, comme sa rentabilité dans l'entrejeu. Et là, il n'est plus vraiment sûr qu'il y ait eu une progression de sa part ces dernières années. Et, ce en prenant toujours uniquement en compte ses prestations sous la tunique bleue. Le numéro 8 tricolore perd, par exemple, plus de ballons qu'avant (13 contre 12,6) et le match face à l'Italie du 1er juin dernier a conforté cette idée-là. D'autre part, il est aussi légèrement moins précis dans ses passes (87% de passes réussies, contre 88% entre 2014/16). Et, par ricochet, il perd également plus de ballons par match (13 contre 12,6).
Bien sûr, Pogba doit être évalué à l'aune du système dans lequel il joue et son positionnement moyen sur le terrain. Il serait logique qu'il connaisse plus de déchet si Deschamps l'aligne dans une position avancée. Néanmoins, il est difficile de se défaire de l'impression qu'il est un peu moins en confiance ses derniers temps. Le nombre de dribbles par match le démontre (3,1 contre 2,6), même si l'efficacité dans ce domaine reste quasi identique (64,7 contre 64,1). Même si ces données-là laissent aussi penser qu'il a désormais un style plus épuré, qu'il joue plus simple. Chose qui est confortée par le nombre de passes effectuées par match (61 contre 58 avant).
Pour résumer, le bilan global est assez mitigé. Et il apparait compliqué d'évoquer une progression chez Pogba. A-t-il régressé ? Ce n'est pas sûr non plus, car il est nécessaire de se mettre dans le contexte et se rappeler qu'il a une période d'indisponibilité pour cause de blessure et qu'il n'y a pas eu de matches à très grands enjeux. Certes, la France a joué les qualifications pour le Mondial, et non plus des amicaux, mais l'on se souvient qu'il a répondu présent et a été plus que convaincant lors des matches les plus réussis des Bleus durant cette campagne (les deux contre les Pays-Bas).
Il porte en lui une autorité naturelle
Alors Pogba peut-il devenir le patron technique de l'Equipe de France ? On est en droit d'en douter. Néanmoins, il y a d'autres paramètres qui plaident en sa faveur. Qui ne sont pas quantifiables, mais qu'il serait injuste d'ignorer.
Pogba est un joueur qui a du charisme, et tous les leaders en ont. Sa joie de vivre et sa fraîcheur sont des éléments importants dans le fonctionnement d'une équipe, même si l'on se rapproche plus ici des caractéristiques d'un taulier de vestiaire. D'autre part, il a cette particularité de ne jamais vraiment douter, et sa force de caractère est communicative. Il est devenu un cadre respecté et, de ce fait, il est capable de tirer un groupe derrière lui et provoquer l'étincelle.
Enfin, s'il n'a pas toujours produit des copies propres et conformes à son talent, Pogba a la rage et il sait la transmettre. Avec la confiance en soi et l'ambition qui l'ont toujours animé, il porte en lui une autorité naturelle et il n'y a rien de mieux pour transcender une équipe. Bien sûr, il lui faut encore le montrer lors d'un grand tournoi. Et c'est l'immense défi qui s'offre à lui.
(*) Le dernier match amical contre les Etats-Unis n'a pas été pris en compte